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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/15

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SUPPRESSION DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS.

un rocher. Sous Jean V, leur domination est à son apogée ; ils règnent, et le Portugal épuisé, haletant, tombe, pour ne plus se relever, entre les mains protectrices de l’Angleterre.

Le Nouveau-Monde ouvrit aux jésuites une carrière plus glorieuse ; malgré les objections qu’il est possible de faire à leur établissement dans le Paraguay, il faut convenir qu’ils y donnèrent un noble exemple. On vit une poignée d’hommes désarmés porter la foi et la civilisation au milieu de peuplades sauvages. Ce spectacle a frappé tous les yeux ; les jésuites ne peuvent reprocher à personne d’en avoir méconnu la singulière beauté. La philosophie elle-même leur a accordé un suffrage que leurs écrivains sont bien loin d’avoir dédaigné, car ils l’ont rappelé sans cesse et le reproduisent encore tous les jours. Nous n’ignorons pas tout ce qu’il y avait, sinon de tyrannique, du moins de très absolu, dans ce gouvernement : nous savons que l’homme ne pouvait y être heureux qu’à la condition de rester toujours enfant ; mais, mieux instruits encore que nos devanciers par les révolutions subséquentes de ces contrées lointaines, témoins de l’atroce dictature de je ne sais quel docteur fantastique qui a remplacé les pères dans le Paraguay, nous devons applaudir hautement à une domination qui, pouvant être à la fois arbitraire et cruelle, s’est bornée à rester douce, quoique absolue. Il n’en est pas moins vrai que la position des jésuites en Amérique était un désordre politique. Un lien les tenait attachés en apparence aux deux monarchies péninsulaires, mais en fait ils étaient souverains. De là leur chute inévitable dès que l’une des deux cours viendrait à se rappeler ses droits. Cela devait arriver tôt ou tard et arriva en effet. Dans l’année 1753, par un traité entre les rois d’Espagne et de Portugal, il y eut un échange mutuel de réductions ou provinces ; on y stipula que les habitans abandonneraient les territoires cédés, et qu’ils changeraient de patrie pour ne pas changer de maître. Ces malheureux résistèrent, les jésuites appuyèrent leur résistance. Depuis, ils ont nié obstinément la part qu’ils prirent à la détermination des naturels ; mais, lorsque l’on compare la docilité paisible de cette population à l’activité illimitée de ses maîtres, peut-on douter de l’emploi qu’ils en firent ? D’ailleurs les jésuites ont tort d’appliquer à ce fait le système de dénégation dont leurs écrivains font un constant usage. Avec plus de franchise et de hauteur d’ame, ils avoueraient leur opposition à une mesure si oppressive ; ils se féliciteraient d’avoir mis généreusement obstacle à une transmigration violente. Le mode d’apologie qu’ils ont adopté les a toujours portés à tout nier dans l’intérêt du moment, même les actes courageux et honorables. Au reste,