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dernières années ont paru manquer d’à-propos, de quelque éclat qu’il ait su les colorer. Le moment n’est pas venu de juger l’œuvre du 29 octobre avec l’impartialité froide et le dégagement d’esprit de l’historien ; ce rôle d’ailleurs réussit peu à la tribune, et l’attitude de l’orateur pendant le cours de la session dernière y avait peu préparé la chambre et le public.

Les hommes qui ont suivi de près les débats des affaires étrangères se rappellent sans doute que M. de Lamartine, à l’origine de la question d’Orient, avait énoncé des vues en désaccord avec celles qui prévalurent à cette époque ; ils n’ont pas oublié qu’il était fort opposé à l’établissement égyptien, et qu’il avait conçu, relativement à la Syrie, des projets d’intervention directe d’une réalisation impossible, du moment où la France subordonnait son action à celle des autres puissances, et où la doctrine du concert européen était solennellement proclamée. Quelle que pût être d’ailleurs la valeur de ces projets mêmes, il est évident qu’ils ne sont pas de nature à prévaloir contre les faits accomplis, et qu’ils ne sauraient surtout servir de base à une agression contre le cabinet, auquel on peut à coup sûr imputer des torts beaucoup plus sérieux que celui de ne pas s’être engagé dans une voie où il n’aurait été suivi par personne.

On doit en dire autant du programme de politique intérieure que M. de Lamartine aurait souhaité voir proclamer par le cabinet auquel il a prêté un concours de deux années. La révision des lois de septembre, la réforme électorale, l’indemnité aux députés, ce sont là autant d’idées incompatibles avec l’existence d’un cabinet conservateur constitué d’après les bases sur lesquelles s’est élevée l’administration actuelle. À chacun son œuvre, à chacun ses principes, à chacun sa responsabilité. Lorsqu’après la chute du 1er mars, M. de Lamartine appuyait avec une si grande chaleur la politique de M. Guizot, il n’attendait pas sans doute de ce ministre l’application des idées dont il a commencé, l’année dernière, la propagation si éclatante et si soudaine. Il est licite de vouloir substituer une politique à une autre, mais il ne faut jamais accuser un gouvernement pour n’avoir pas adopté des doctrines diamétralement contraires à celles qu’il représente et par lesquelles il existe.

Chaque jour fait déplorer davantage les évolutions de l’homme éminent qui semble avoir pris à tâche de dérouter toutes les conjectures par la mobilité de sa physionomie parlementaire. Appelé par ses antécédens et tous les instincts de sa noble nature à représenter l’opinion gouvernementale dans ses tendances les plus hautes et les plus pures, M. de Lamartine, en se maintenant dans cette ligne, aurait rendu à cette opinion un service signalé ; il eût été son interprète à la tribune et son ministre dans les conseils de la couronne ; il était en mesure de tenter avec des chances de succès l’association des idées conservatrices et progressives, qui seraient à la fois l’honneur et la sécurité de la France et de son gouvernement. Alors qu’il eût pu suffire à ce rôle, ce rôle ne lui a pas suffi à lui-même, et après une campagne de quatre années, faite sous le drapeau du 15 avril, du 12 mai et du 29 oc-