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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/193

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REVUE. — CHRONIQUE.

sur l’organisation factice et précaire de cette grande société anglaise. À une réclamation fondée sur l’humanité la plus vulgaire, sur le devoir sacré de ne pas exténuer l’enfance, il se rencontre un gouvernement civilisé contraint par des devoirs plus impérieux encore de répondre ce qui suit : « Vos réclamations sont parfaitement légitimes, et dix heures de travail dans les usines indiquées par le bill sont en effet une tâche amplement suffisante ; mais les lois de la concurrence commerciale contraignent à excéder cette mesure. Si nous étions arrêtés par des considérations d’humanité, la production britannique ne pourrait plus lutter contre la production étrangère dans des conditions de supériorité indispensables au placement de ses produits. Or, dans le cas où le monopole de la production lui échapperait, la misère à laquelle vous voulez remédier assaillirait la population d’une manière bien autrement affreuse ; l’abaissement des salaires serait d’ailleurs la conséquence immédiate de l’abaissement du travail. Il n’y a, pour nos populations ouvrières, d’autre alternative que de périr de faim ou de végéter en s’étiolant. En leur maintenant cette dernière ressource, nous sommes plus charitables et plus éclairés que vous, car votre philanthropie, c’est la diminution dans la production, c’est-à-dire la famine et la mort ! »

Voilà ce qu’un gouvernement chrétien est réduit à opposer à ses adversaires, voilà ce qu’il est amené à confesser solennellement devant le monde civilisé ? Jamais question de cabinet fut-elle ainsi posée sur la vie même des générations ? jamais ministère eut-il raison dans une plus humiliante extrémité et dans une plus triste cause ? Quoi que fasse le gouvernement anglais, cette affaire aura au dehors une grande portée, car elle est une révélation complète des plaies intérieures qui rongent cette société. Les plus aveugles reconnaîtront désormais que la Grande-Bretagne est placée entre un effroyable bouleversement et le maintien de la paix à tout prix, expression qui semble aujourd’hui n’avoir pu être trouvée que pour elle. Chaque jour viendra dérouler une phase nouvelle de cette situation, et peut-être finira-t-on par comprendre qu’il ne faut pas acheter une alliance lorsqu’on est en position de la vendre.

Quelques organes de la presse étrangère ont accueilli beaucoup trop légèrement le bruit d’un voyage du roi en Angleterre, dans le courant de l’été prochain. L’âge du monarque le dispense à coup sûr d’une visite où il a été plus d’une fois suppléé par les princes ses fils. Cette démarche, n’étant dès-lors imposée par aucune convenance, resterait toute politique, et, quels que soient les sentimens du ministère sur l’alliance anglaise, nous le croyons trop éclairé pour exposer le chef de notre nouvelle dynastie à une ovation qui serait plus dangereuse pour elle que les clameurs de ses plus implacables ennemis.

Un jeune membre du parlement fort attaché à la France, où il compte de nombreux amis, vient d’annoncer, concurremment avec lord Palmerston, et dans un esprit tout opposé, une motion sur la traite des noirs. Il voudrait