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venaient sans doute le tourment, l’angoisse, l’effort pénible, qui se font sentir dans ses écrits. L’imagination de Bettina, pensions-nous, est captive ; c’est une princesse enchantée dont la syntaxe est la prison et dont la basse chiffrée eût été le libérateur. Cette hypothèse nous avait paru très vraisemblable, et nous croyions de bonne foi avoir découvert la seule explication raisonnable des écrits de Mme d’Arnim, lorsque d’infortune il nous tomba entre les mains un cahier de Lieder mis en musique par Bettina[1]. Des lettres de l’auteur nous prouvent en outre qu’elle accorde à ces compositions une importance extrême. Elle les a méditées longuement ; elle les commente, elle les explique avec un sérieux qui a droit de surprendre. Elle ne semble pas douter de l’excellence de ses œuvres musicales. Il nous est impossible, nous l’avouons, d’être en cela de son avis ; ces malencontreuses mélodies ont détruit pour nous une illusion chère, et nous leur en gardons rancune. En les entendant, nous nous sommes écrié avec chagrin : Ainsi donc Mme d’Arnim sait les règles de la composition musicale ! Ainsi donc Bettina n’est point une musicienne condamnée à écrire en prose ! Ainsi donc rien ne l’a empêchée de devenir Beethoven, Weber ou Schubert, si telle eût été sa destinée ! Qu’est-ce donc que Mme d’Arnim ? Son troisième livre va nous l’apprendre. Elle est, ou du moins elle croit être un écrivain politique, un homme d’état, un philosophe réformateur.

Ce Livre appartient au roi ; mais il appartient aussi au public, ce qui nous a permis de le lire et nous permet aujourd’hui d’en dire notre avis avec une sincérité entière. Dès le début, et sans autre préambule que cette phrase mise en vedette : Madame la conseillère raconte, nous tombons sur un long monologue de la conseillère de Goethe, ou plutôt de Bettina elle-même, qui s’identifie avec ce personnage respecté, afin sans doute de pouvoir s’abandonner plus impunément à toutes les audaces de son esprit armé en guerre. On dirait qu’effrayée à l’avance de ce qu’elle va dire, Mme d’Arnim voudrait tenir la critique à distance, lui imposer par le costume et le masque vénérable de la mère du grand poète. Le prétexte de ce monologue est le récit d’une visite de Mme la conseillère à madame la reine de Prusse ; mais, à travers le voile transparent de l’anachronisme et de la fiction, il est aisé de reconnaître Bettina, qui s’adresse personnellement à Frédéric-Guillaume IV. S’efforçant d’enflammer le roi pour la pensée dont elle est possédée, Mme d’Arnim le prépare insensiblement, dans ces

  1. Douze Mélodies sur des paroles de Goethe, dédiées à Spontini par Bettina d’Arnim.