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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/345

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LE SALON.

qu’on reçoive peu ou beaucoup ; le résultat général est le même. Il reste toujours vrai que bon nombre des ouvrages exclus valent autant que bon nombre des admis, et c’est ce défaut d’équité distributive et relative qui blesse particulièrement les intéressés. Les mots de sévérité et d’indulgence sont d’ailleurs ici tout-à-fait déplacés. Le jury est un tribunal ; il n’a d’autre mission, d’autre devoir, d’autre règle de conduite que la justice. Il n’a ni à dispenser des faveurs, ni à exercer des rigueurs. Il se peut sans doute qu’en acceptant en 1844 tels ou tels ouvrages rejetés en 1843, il ait réparé accidentellement une injustice ou une erreur, mais rien ne garantit pourtant qu’il ait mieux jugé cette seconde fois que la première. La contradiction des deux décisions les rend également suspectes, et, dans tous les cas, il y en a nécessairement une de mauvaise. Ces choquantes inconséquences ne sont certes guère propres à rassurer les artistes sur la légitimité des jugemens prononcés par un tribunal sujet à de telles distractions. Il n’y a donc pas à se demander si le changement d’humeur manifesté cette année par le jury a eu des conséquences bonnes ou mauvaises, mais bien si ces brusques transitions de l’extrême rigueur à l’extrême tolérance, si ces hausses et baisses subites dans le chiffre des admissions, ne sont pas en elles-mêmes l’indice certain d’un vice radical dans la constitution et le mode d’opérer de ce comité ? Ce fait seul que, sur une masse à très peu près égale d’objets soumis à son contrôle, le jury peut, ad libitum, en prendre ou en laisser mille de plus, mille de moins, prouve jusqu’à l’évidence que ses opérations ne sont soumises à aucune sorte de principe ou règle appréciable. De telles disproportions dans les résultats, à quelques mois de distance, ne s’expliquent que par le caprice et le hasard. Au lieu donc de féliciter le jury de sa condescendance, réelle ou affectée, aux réclamations du public et des artistes, il faut mettre cette condescendance même au nombre des griefs qu’une critique sérieuse est en droit d’élever contre cette institution. Un pouvoir qui jouit d’une latitude d’action assez élastique et assez absolue pour avoir le droit de pousser si loin les complaisances est évidemment établi sur une base essentiellement vicieuse, et quelles que puissent être les intentions et les lumières des hommes qui l’exercent, il faillira inévitablement à sa tâche, tant que ses fonctions, ses droits et ses devoirs ne seront pas mieux définis et délimités, et tant que ses délibérations et ses jugemens ne seront pas soumis à des formes plus rigoureuses.

Nous n’avons pas l’intention de revenir sur la question du jury. Elle a été trop souvent traitée ici et ailleurs pour n’être pas épuisée.