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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/414

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REVUE DES DEUX MONDES

La condition générale des comédiens offre de nombreuses analogies avec celle des auteurs. Avant la révolution, les comédiens étaient frappés par l’opinion plus encore que par les lois ; quand, dans la séance du 24 décembre 1789, l’assemblée constituante eut à prononcer sur la réclamation qu’ils lui avaient adressée, M. de Beaumetz et Mirabeau protestèrent contre des opinions intolérantes qui se produisirent sans trouver d’échos. Un décret du même jour déclara implicitement que les artistes dramatiques ne sont frappés par aucune exclusion : nos lois leur confèrent donc les mêmes droits qu’aux autres citoyens, et les mêmes distinctions peuvent récompenser leurs talens ou leurs services. Sous la restauration, Talma fut appelé dans un collége électoral de Paris aux fonctions de scrutateur ; depuis 1830, un artiste de l’Opéra a obtenu la croix de la Légion-d’Honneur pour des services rendus dans la garde nationale. Des hommes de lettres qui, dans leur jeunesse, avaient paru sur le théâtre, sont entrés à l’Académie française et ont occupé d’honorables emplois. Les comédiens ne sont plus exposés aux arrestations arbitraires qui les atteignaient sous l’ancien régime ; ils vivent sous la protection de la loi commune. Cependant ces arrestations ont été quelquefois nécessaires pour calmer un public irrité et protéger contre ses violences l’artiste qui avait encouru sa colère. Perlet, sous la restauration, en offrit un exemple. Ces cas extraordinaires n’ont point porté atteinte au droit, et nous ne croyons pas qu’ils se soient reproduits depuis 1830.

Le nombre des comédiens en France est d’environ 3,000. D’anciens documens élevaient par évaluation ce chiffre à 8,000. Peut-être y comprenait-on cette population fiévreuse qui tourbillonne autour des théâtres, en attendant avec une dévorante anxiété le jour suprême du début. Pour ne parler ici que des comédiens qui trouvent à exercer leur talent, de grandes inégalités se rencontrent dans leur condition respective. Les plus éminens, qui cumulent de gros appointemens avec le bénéfice éventuel des représentations en province, arrivent à l’opulence. D’autres, à Paris et dans les grandes villes, vivent dans l’aisance ; le plus grand nombre traîne une existence misérable. Les entreprises des petites villes, les troupes ambulantes donnent à peine les moyens de se suffire à ceux qui les composent. Après une vie de privations et de souffrances, leurs derniers jours sont exposés à toutes les angoisses de la plus affreuse pauvreté. En province surtout, leur condition est précaire : chaque année remet en question leur état, on pourrait dire leur existence. Le parterre les juge sans appel et se montre souvent impitoyable à leur égard. Le théâtre est une carrière presque toujours