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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/502

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caravansérails. Comme cette circulation intérieure n’était ni continuelle, ni périodique, l’arrivée presque inattendue d’une caravane était dans les villes un grand évènement. Que de pays ces voyageurs avaient visités ! que de choses curieuses ils devaient rapporter ! que d’objets inconnus peut-être ! Toutes les portes s’ouvraient à ces hommes qui, tout à la fois soldats et marchands, faisaient le commerce à main armée, et cachaient leur caractère mercantile sous un habit guerrier, sous une apparence chevaleresque. Dans un pays où il n’a jamais existé, comme dans le nôtre, de classe vouée exclusivement aux armes et disposée à regarder comme indigne d’elle toute profession industrielle, on comprend quelle considération dut environner dès le principe ces marchands guerriers qui forment encore la classe la plus relevée de la famille musulmane. Le caractère sacré que le commerce eut dès-lors aux yeux des populations explique seul comment d’immenses opérations purent être menées à bonne fin, pendant de longues années, dans un pays dévasté par les brigandages et désolé par des guerres continuelles. De grands bienfaits étaient résultés de cet ordre de choses ; grace à l’exemption d’impôts sur les marchandises et de taxes sur les objets de consommation, le prix des denrées était extrêmement modique. Non-seulement on ne connaissait pas en Turquie le paupérisme, cette lèpre de l’Occident, dont les ravages vont s’étendant de plus en plus au fur et à mesure que se propagent les savantes combinaisons des économistes, mais les classes inférieures y jouissaient d’une infinité de raffinemens réservés chez nous aux riches. Le sucre, le café, les épices, étaient à l’usage des plus pauvres, et si l’on considérait dans son ensemble le passé de ces populations que l’on disait barbares, peut-être arriverait-on à les voir plus rapprochées que les nôtres du bonheur, qui est, après tout, la vraie science et la suprême sagesse.

Cet état de choses ne pouvait durer, et la Turquie devait imiter les institutions de l’Europe. Aux premières taxes établies par Soliman le Magnifique succédèrent de jour en jour des impositions nouvelles, et une fois entré dans la voie de la cupidité, le gouvernement ne s’arrêta plus. Après avoir imaginé les droits intérieurs, on créa des monopoles, et le cours du commerce fut changé. Comme il était aisé de le prévoir, ces institutions, qui n’avaient pu s’établir en Europe qu’après de longs tâtonnemens et s’affermir qu’après des modifications successives enseignées de jour en jour par l’expérience, devaient donner lieu, en Turquie, à des abus de tous genres. Il y avait bien un pouvoir qui ordonnait, mais il n’y avait pas une adminis-