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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/510

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REVUE DES DEUX MONDES.

tous les jours. Après s’être infiltrés, au détriment des Européens, dans le commerce intérieur de la Turquie, ils ont étendu le cercle de leurs opérations et ont noué avec l’Europe des relations directes. Les maisons grecques et arméniennes établies à Londres, à Trieste, à Livourne, à Vienne, à Marseille, font leurs expéditions avec les avantages réservés aux nationaux. Ces petits négocians ont sur les grands spéculateurs de réels avantages. Sobres, économes comme des Levantins, ne songeant pas à ces recherches de luxe qui sont devenues des besoins pour les Européens, ils vivent de rien et font sans frais leurs affaires. Dans leurs frères, dans leurs cousins, ils trouvent d’excellens commis qui, actifs et clairvoyans comme des maîtres, se contentent pour tout salaire d’une légère part dans les bénéfices. Préoccupés d’une infinité de détails qui échappent à l’œil des grands spéculateurs, ils amassent mille profits, insaisissables dans les vastes exploitations, et recueillent des gains qui, minimes en apparence, n’en forment pas moins en résultat un total considérable.

Sans se mettre en évidence, sans faire d’éclat, les juifs se sont aussi faufilés, et en grand nombre, dans le commerce du Levant. Pour le mal des Européens, ils ont imaginé une sorte de spéculation d’un genre tout-à-fait hébraïque. Ils viennent eux-mêmes faire leurs achats sur les marchés d’Europe, et, fixant à un an de date le jour du paiement, ils rapportent, avec une grande économie de fret, leurs marchandises en Turquie, où ils les vendent le plus tôt possible au comptant. L’argent de l’acquéreur, placé par eux à des intérêts énormes comme on en paie dans le Levant, se multiplie rapidement et leur donne, à la fin de l’année, en sus du prix d’achat qu’ils restituent, un bénéfice de 30 ou 40 pour 100 qu’ils exploitent de nouveau. Pendant que les juifs et les Arméniens, à force d’adresse et de ruse, prenaient dans le commerce la place des Européens, les marins grecs enlevaient à notre navigation le profit des transports. À l’époque où la guerre fermait la Méditerranée aux navires européens, ils s’étaient emparés du cabotage ; grace à leur extrême activité et à leur économie excessive, ils ont su conserver, après que la paix eut rouvert les mers, la supériorité qu’ils s’étaient acquise.

Ainsi donc notre terrain a été envahi dans le Levant par les Anglais, par les Autrichiens, par les Sardes, par les Américains eux-mêmes et par les rayas du pays ; tout nous a été ravi, et on n’ose pas espérer que notre commerce regagne jamais dans ces contrées la place qu’il a perdue. Si pourtant des modifications apportées à notre législation douanière,