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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/542

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REVUE DES DEUX MONDES.

l’amiral français avait fonctionné jusqu’aux premiers jours de janvier avec l’approbation de la population, des chefs indigènes, des étrangers établis dans l’île, et, à ce qu’il paraît, de la reine Pomaré elle-même ; mais à cette période pacifique succéda une période de troubles et d’agitations correspondant à l’arrivée de la corvette anglaise le Talbot. Peu après entra à Papeïti la frégate la Vindictive, dont le commandant continua d’une manière plus audacieuse et plus patente le plan déjà préparé contre les Français. Le missionnaire Pritchard, absent en 1842, avait repris possession de ses doubles fonctions diplomatiques et religieuses. Maître de l’esprit et de la conscience d’une faible femme, il voulut agiter ces populations, essayant de parler à ces races amollies la langue du fanatisme et de la nationalité. Pendant ce temps, un système d’envahissemens successifs sur les attributions du protectorat était organisé par la marine britannique, sous prétexte de fonder un service de signaux et d’hospices militaires sur des terrains cédés par la reine. Celle-ci écrivait enfin à sa sœur d’Angleterre pour qu’elle la délivrât de la tyrannie de la France, et réclamait l’envoi d’un grand vaisseau pour mettre ses oppresseurs à la raison. Un pavillon donné par le consul britannique était hissé sur l’habitation royale, malgré les protestations des officiers formant le gouvernement civil, et devenait l’expression visible à tous les regards du protectorat nouveau qu’on entendait substituer à celui du 9 septembre.

C’est dans ces circonstances que l’amiral français reparut en vue de l’île de Taïti, muni de la ratification donnée par son souverain au traité de l’année précédente. La résolution du gouvernement anglais relative à ces actes n’était point encore connue, ses agens consulaires et maritimes n’avaient point encore reçu les tardives instructions expédiées par l’amirauté et le foreign-office. Aucun débat ne pouvait donc s’élever entre ces agens et le représentant de la France. L’état provisoire durait pleinement quant à eux : il couvrait tous les actes qu’ils avaient cru pouvoir consommer pendant dix mois d’attente et d’incertitude.

Mais si le droit des gens n’autorisait pas à formuler des plaintes contre les officiers des forces navales britanniques, il en était tout autrement relativement à la reine Pomaré. À moins de fermer les yeux à la lumière, il faut reconnaître que, depuis l’arrivée de M. Pritchard à Papeïti, la reine avait violé toutes les stipulations de l’acte du 9 septembre, et qu’elle tentait des efforts publics pour substituer le protectorat de la reine Victoria à celui du roi Louis-Philippe. Il n’est pas un homme sérieux qui, après les publications déjà faites et les témoignages produits, puisse contester un fait d’une aussi éclatante évidence.

L’amiral Dupetit-Thouars a donc pu, selon les principes de tous les publicistes, agir comme il est loisible de le faire dans le cas d’infraction aux conventions internationales. Cela n’est pas contestable en droit strict. Sa conduite est-elle plus blâmable au point de vue politique. ? Justifie-t-elle le désaveu