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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/578

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son histoire, la Suisse est aujourd’hui florissante ; néanmoins on entend dire parfois qu’elle a baissé depuis 1830, qu’elle a surtout moins d’hommes marquans à sa tête, moins d’hommes d’état, peu ou point de diplomates qui puissent la représenter auprès des puissances étrangères et comme en faciliter à celles-ci l’intelligence et l’accès. On pourrait répondre qu’à défaut des hommes, la position de la Suisse fera toujours de la diplomatie pour elle, et rappeler ce mot de Voltaire : les Suisses sont circonspects. Disons seulement que, s’il y a aujourd’hui peu de Suisses politiquement en évidence au dehors, il faut voir aussi dans ce fait la prédominance croissante des idées d’équilibre et de neutralité. Or, dans cette situation même, où est le moindre danger et le plus grand intérêt si ce n’est du côté de la France ? Les états secondaires de l’Allemagne sont trop faibles, la Prusse est trop éloignée, la principauté de Neuchâtel rend plutôt suspecte que populaire en Suisse l’action de cette dernière, et l’Autriche a été trop long-temps l’ennemi national pour qu’à son égard la défiance puisse jamais s’éteindre complètement. De la France au contraire, la Suisse, nous le répétons, ne saurait jamais rien craindre de sérieux, puisqu’après avoir été si profondément sous son influence pendant trois siècles, souvent presque un instrument entre ses mains, la Suisse n’en a pas moins gardé son indépendance, son caractère, sa nationalité. Ainsi au fond, et malgré d’autres changemens survenus dans les relations réciproques, les deux peuples n’en sont-pas moins restés ce qu’ils furent toujours, des alliés naturels l’un pour l’autre.

Hormis ce point, la position de la Suisse à l’égard de la France a certainement beaucoup changé. Celle-ci n’y est plus le principal et l’unique centre, une seconde patrie, comme on pouvait presque le dire autrefois ; et, quoiqu’au fond il y ait peu de sympathie politique et nationale pour l’Allemagne, même chez les Suisses allemands, l’Allemagne n’en exerce pas moins une très grande action intellectuelle chez ces derniers, comme chez les Suisses français. En effet, dans les cantons voisins de la France, la connaissance de l’allemand est assez répandue et déjà devient de plus en plus obligatoire ; on enseigne cette langue dans les colléges, dans les écoles industrielles des petites villes et des chefs-lieux. De plus, c’est en Allemagne que les études spéciales vont ordinairement se compléter. De Genève, de Lausanne, de Neuchâtel et de Fribourg, il part chaque année bon nombre de jeunes gens qui se rendent à Munich, à Vienne, à Berlin, pour fortifier leurs études de théologie, de philosophie, de philologie et même de médecine, de sciences naturelles et de droit. Quelques-uns font les deux voyages, celui d’Allemagne et celui de Paris ; mais, s’il faut choisir, c’est de beaucoup le premier qui l’emporte. Il y a une raison pratique à ce choix, la dépense moindre et l’avantage d’apprendre l’allemand ; il y a aussi autre chose : plus de sécurité pour les parens, et surtout la réputation scientifique de l’Allemagne, qui, pour beaucoup de personnes, n’est pas simplement un fait, mais une religion et un culte.

Naguère encore il n’en était pas ainsi. Le service étranger mettait directement les Suisses de toute classe en contact avec la France, et leur patrie