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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/590

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REVUE DES DEUX MONDES.

avoir voulu faire cause commune entre eux, communicare, dit la lettre pontificale. L’année même de la mort de Rodolphe (1291), « considérant, disent-ils, la malice des temps présens, » ils renouvellent leur alliance avec leurs voisins de Zurich ; surtout ils renouvellent leur propre fédération en la développant. Ils jurent de se fournir assistance mutuelle, « afin de résister aux attaques des méchans ; » — ce sont les propres termes du traité. Se mettre ainsi sur ses gardes, c’était déjà au besoin signifier la guerre. Les baillis autrichiens voulurent alors comprimer ou braver l’insurrection ; ils ne firent que l’exciter. Des outrages du genre de celui qui vers la même époque donna le signal des vêpres siciliennes, des outrages envers les femmes, paraissent avoir porté la colère du peuple à son comble. On retrouve ce trait caractéristique dans l’histoire de toutes les révolutions : toutes présentent, à côté de la question matérielle, une question morale d’honneur et de dignité, et même il est bien rare que, dans les grandes insurrections nationales, à côté de Tarquin le despote n’apparaisse pas Sextus. Si la révolution française se fût accomplie dans des âges ténébreux, qui sait le rôle important que les chroniques eussent attribué dans son histoire aux roueries des grands seigneurs et aux mystères du Parc-aux-Cerfs ? Dans les Waldstetten comme ailleurs, c’est plus qu’un peuple opprimé qui se lève, c’est un peuple qu’on veut déshonorer ; c’est un peuple qui se sent atteint non-seulement dans sa vie publique, mais dans sa vie de famille, dans ses plus intimes affections, et qui se voit poursuivi jusque sur le bord de son foyer. Ainsi acculé, il se retourne ; la lutte enfin s’engage ; il s’empare des châteaux, chasse les baillis et ne craint pas de se poser en face de l’Autriche. Le fils de Rodolphe, Albert, qui n’avait pu monter au trône qu’en marchant sur le cadavre d’un rival, est assassiné par les nobles d’Argovie et de Souabe : ses enfans vengent cruellement sa mort[1], mais ils ne peuvent faire fléchir les libres paysans. Léopold-le-Glorieux revient tout pâle de Morgarten, selon l’expression d’un témoin oculaire. L’empereur Louis de Bavière, rival des Habsbourg, écrit aux paysans pour les féliciter de leur victoire. La lutte se terminait donc à leur avantage. Sans doute au fond, ils ne voulaient que ce qu’avaient voulu avant eux, depuis le XIe siècle, les seigneurs, les bourgeois et les princes : être d’empire, être seigneur et maître, être prince chez soi ; mais pour eux, poursuivre un tel but et surtout l’atteindre, c’était en réalité beaucoup plus.

Voilà l’histoire de la révolution des Waldstetten, selon les documens et les chartes. Dans cette crise, dont les grands traits s’expliquent et se justifient aisément, il est facile de placer en outre et d’admettre quelques noms propres, quelques faits individuels, Stauffackher, Melckthal, Furst, le Grutli.

  1. On sait la fin de Rodolphe de Wart et le dévouement de sa femme Gertrude, qui, pendant trois jours que dura le supplice de son mari, se tint en prière au pied de la roue. Pourquoi un document maladroitement découvert nous apprend-il que Gertrude de Wart se remaria en 1317 ?