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VIE DE RANCÉ.

mêlait à des fables nouvelles quelques contes assez bienséans. C’était l’année des Femmes Savantes, avant la dernière heure de Molière. M. de Pomponne entrait aux affaires, et allait prêter à ce noble bon sens du monarque l’élégance de plume d’un Arnauld. Bossuet, orateur glorieux par ses premières oraisons funèbres, docteur déclaré par l’Exposition de la Foi, se vouait à l’éducation du Dauphin. Port-Royal, en ces années sincères de la paix de l’Église, refleurissait et fructifiait de nouveau, avec l’abondance d’un dernier automne. Enfin, dans les obscurs sentiers du Perche, il s’opérait je ne sais quoi d’angélique et qui sentait son premier printemps : « On s’aperçut, dit M. de Châteaubriand, qu’il venait des parfums d’une terre inconnue ; on s’y tournait pour les respirer ; l’île de Cuba se décèle par l’odeur des vanilliers sur la côte des Florides. »

De son temps toutefois, Rancé eut aussi ses détracteurs, et il fut contredit par plus d’un adversaire. Je ne parle pas des libelles qui coururent, mais il eut à soutenir des discussions sérieuses et dans lesquelles il ne parut pas toujours avoir raison. J’ai noté jusqu’à trois discussions de ce genre dans lesquelles il eut plus ou moins affaire à des hommes de Port-Royal : la première avec M. Le Roy, abbé de Haute-Fontaine, au sujet d’une pratique monastique que M. Le Roy trouvait excessive et que Rancé favorisait ; la seconde au sujet des études monastiques que Rancé voulait trop restreindre, et dans laquelle Nicole prit naturellement parti pour Mabillon ; la troisième enfin avec l’humble M. de Tillemont au sujet de diverses circonstances et paroles qui semblaient également empreintes de quelque dureté. Ce n’est pas ici le lieu d’exposer à fond et de démêler ces affaires auxquelles il faudrait apporter un grand détail pour les rendre intéressantes. Qu’il suffise de dire que le respect des dignes adversaires eux-mêmes pour l’abbé de Rancé n’en subit aucune atteinte ; que Nicole, approuvé en cela par Arnauld, s’écriait qu’il se ferait plutôt couper le bras droit que d’écrire contre M. de la Trappe, et que Bossuet, souvent pris pour arbitre en ces querelles révérentes, ne parlait des écrits de Rancé, de ceux-là même en apparence excessifs, que comme d’ouvrages où « toute la sainteté, toute la vigueur et toute la sévérité de l’ancienne discipline monastique est ramassée. »

Ce fut Bossuet qui le contraignit à publier le livre de la Sainteté et des Devoirs de la Vie monastique ; lisant ce livre en manuscrit au retour de l’assemblée de 1682 : « J’avoue, écrivait-il à Rancé, qu’en sortant des relâchemens honteux et des ordures des casuistes, il me falloit consoler par ces idées célestes de la vie des solitaires et des cénobites. »