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REVUE. — CHRONIQUE.

Le pouvoir a dû capituler avec eux, et l’impassibilité de sir Robert Peel a triomphé sans éclat et sans scission de la violence de son noble collègue. Du reste, on comprend que la cour des directeurs ne soit pas plus jalouse que le gouvernement lui-même d’expliquer les véritables motifs de cette querelle, et de déclarer à la face du monde qu’on a eu des craintes sérieuses sur le maintien du formidable empire britannique dans l’Inde. Ce sont là de ces secrets que les Anglais sont fort habiles à cacher, mais qui ne sauraient échapper à la sagacité de l’Europe. Combien de temps deux cent mille indigènes armés et disciplinés subiront-ils la domination de douze mille étrangers ? C’est là une question à laquelle il est difficile de répondre dès à présent, quoique la solution en soit assurément alarmante.

Nous exposions récemment la situation d’esprit de la reine Marie-Christine au moment où elle franchissait les Pyrénées, nous rappelions ses incertitudes, ses perplexités et ses répugnances personnelles contre M. Gonzalez Bravo et quelques-uns de ses collègues. Des incidens sur lesquels il est difficile d’avoir une opinion bien arrêtée ont déterminé un changement de cabinet qui aurait eu lieu plus tôt, si les évènemens de Carthagène et d’Alicante n’avaient absorbé toutes les pensées des deux reines. Peut-être n’a-t-on pas été fâché de faire porter à des hommes de peu de consistance, et dont le principal mérite était l’ardeur d’un dévouement nouveau, le poids des dernières rigueurs rendues nécessaires par l’insurrection, et toute la responsabilité de mesures exceptionnelles et transitoires. On assure que le grand cordon de la Légion-d’Honneur, envoyé au chef du ministère espagnol en échange de la toison qu’il a cru devoir suspendre au cou de notre ministre des affaires étrangères, a été pour quelque chose dans sa chute, sinon inattendue, du moins précipitée. Affublé de ces insignes, le journaliste du second ordre a paru à tous les yeux un personnage démesurément grandi par les évènemens et par la fortune. La reine-mère commençait d’ailleurs à s’alarmer de l’éclat d’une politique qui, sans être au fond réactionnaire, en affectait trop souvent les allures, et étalait la dictature alors qu’il aurait fallu la dissimuler. A-t-elle compris qu’il était nécessaire de rappeler à l’Espagne qu’elle vit sous l’empire de la constitution de 1837 et sous celui de trois pouvoirs indissolublement unis ? Quoi qu’il en soit, la convocation des nouvelles cortès est devenue forcément le programme du nouveau cabinet. Toutefois, cette convocation ne sera pas immédiate, on ne croit pas que le décret de dissolution soit publié avant deux mois. On sait de plus que les opérations électorales sont fort longues et fort compliquées dans la Péninsule : il en résulte que les chambres espagnoles ne seront pas réunies avant la fin d’octobre. Ce délai permettra au gouvernement de prendre toutes les mesures que les circonstances rendent encore nécessaires. Néanmoins, la levée de l’état de siége est venue rouvrir pour l’Espagne les voies de la légalité constitutionnelle, d’où elle paraissait sortie pour long-temps. MM. Mon et Pidal n’ont pas au fond des intentions fort différentes de celles de leurs