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poète, n’avait dédaigné ni Masénius, ni Grotius, ni Ramsay ; que comme Dante, Molière, Shakspeare, il avait allumé à ces lampes inférieures la flamme de son génie, mais que le mensonge et l’interpolation restaient sur le compte du faussaire politique. Contraint, le pistolet sur la gorge, à signer une confession authentique de sa fraude, il la signa, partit pour les Barbades, et y mourut couvert de honte et de la haine nationale.

Y avait-t-il donc, au sein de cette société anglaise de 1750, un goût secret pour l’imposture ? En se faisant sérieuse jusqu’à l’acharnement, n’aurait-t-elle pas atteint l’idéal de l’hypocrisie ? C’est précisément ce que Fielding lui reproche, ce qui blesse Sheridan, et ce que Byron poursuit sous le nom de cant ; mais, disons-le pour être justes, c’est aussi le principe puritain sur lequel elle repose et qui la fait grandir. C’est sur cette base de sévérité calviniste et de haine violente contre le papisme que s’opéra le grand développement de l’Angleterre pendant le XVIIIe siècle ! quelle époque ! quel bouillonnement ! L’expansion anglaise dérobait des provinces dans l’Inde ; Chatham y aidait. Un immense orgueil, la fièvre de la richesse, jetait les enfans de la Grande-Bretagne au-delà des mers ; Watts pensait à la machine à vapeur ; l’inoculation arrivait de Constantinople ; Cook circumnaviguait le monde, pendant que l’Italie et l’Espagne dormaient de leur profond sommeil ! En définitive, tous les partis anglais étaient vaincus, dissidens, jacobites, haut clergé, presbytériens, catholiques, même les anglicans, qui ne possédaient pas l’intégrité du pouvoir auquel ils prétendaient. On se consolait à l’extérieur par des conquêtes, à l’intérieur par des luttes sourdes, des calomnies, du luxe, des jouissances, souvent aussi par ces stratagèmes littéraires que j’examine pour la première fois, et qui n’avaient pas d’autre but que de couronner chaque parti d’une gloire frauduleuse, et de lui rendre l’influence dominante que ce vaste compromis enlevait aux opinions individuelles. Après le calvinisme et le torysme, servis par les pseudonymes et les inventeurs dont nous avons parlé plus haut, il fallut bien que l’Écosse eût son tour.


Elle était dans une situation intéressante et singulière : sa nationalité, à laquelle elle tenait beaucoup, se dissolvait après des siècles, et allait se perdre et se confondre dans la masse britannique. La plupart des Écossais étaient suspects de jacobitisme ; les montagnards venaient de prendre les armes pour le prétendant ; on les punissait d’une façon