Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/779

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
773
LES PSEUDONYMES ANGLAIS.

nait à l’un comme à l’autre. Un prêtre et un critique instruit, le docteur Lowth, achevait de faire pénétrer la poésie des prophètes au sein de l’intelligence britannique en expliquant dans un commentaire admirable[1] le procédé rhythmique des Hébreux et leur procédé de composition, — redoublement de l’image, écho de l’idée, parallélisme de la phrase, une sorte de rime constante pour la pensée, frappant l’esprit rebelle d’une percussion double et régulière, qui enfonce dans la mémoire le trait et la couleur, et les grave avec la flamme.

Si vous supposez à cette époque, en 1750, un poète sauvage sortant de terre tout à coup, vague comme une des ombres de la caverne d’Endor, fruste et anguleux comme les strophes rudes et parallèles du roi David, calqué sur le procédé biblique, Écossais d’ailleurs, plaisant à l’orgueil souffrant d’une race noble et étouffée, et reproduisant en apparence, pour charmer l’Europe, la réalité de la vie barbare, avec ses héros demi-nus et ses vierges héroïques, vous êtes en face du plus beau succès possible et vous rencontrez Ossian. Ce triomphe était préparé ; philosophes et historiens créaient des utopies sauvages. Mallet le Genevois avait mis à la mode la Scandinavie, et Walpole lui-même étudiait ses ouvrages ennuyeux : « Je me suis enfermé, dit-il, j’ai disparu pendant près d’un mois, tout occupé que j’étais des guerres danoises et des vieux Scaldes[2]. » À la même époque, Dalrymple parle avec enthousiasme de ce peuple kelte « que le joug romain et saxon n’a pas touché, que les invasions danoises n’ont pas entamé, des derniers fragmens de cet empire si vaste autrefois, et qui s’étendait des piliers d’Hercule jusqu’à Archangel. » Un grand intérêt se concentrait donc sur les souvenirs de l’Écosse. Fatiguées du connu, lassées de civilisation, brûlées et énervées de frivolités, les imaginations se précipitaient vers un âge d’or que Jean-Jacques embrassait des ardentes ailes de son esprit. Cet âge d’or, qui devait briller dans l’avenir, on ne doutait pas qu’il ne se fût épanoui aussi dans le passé et qu’il n’eût versé ses parfums sur la vie sauvage, en dépit des théologiens et du péché originel, que l’on n’était pas fâché de contrarier un peu.

Ici rien d’hypothétique, aucune conjecture, qu’il nous soit permis de le faire remarquer, ne se mêle à notre analyse. Ce sont les faits, seulement réunis et groupés dans leur ordre naturel. En Irlande comme en Écosse, en Bretagne et dans le Cornouailles, de vieilles

  1. Lowth, Commentaries on the sacred Scriptures.
  2. Lettre à Conway, 1759.