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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/813

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SIMPLES ESSAIS D’HISTOIRE LITTÉRAIRE.

une si bonne chose qu’une conviction, qu’il faut un peu pardonner à un prosélytisme exalté et sincère, même pour des idées fausses. La femme, d’ailleurs, nous a-t-elle habitués en ce temps-ci à tant de modération et de prudence de sa part, qu’il faille se récrier à la moindre infraction ? Elle qui était autrefois chargée de retenir, et, en quelque sorte, d’apaiser l’homme ; elle qui jouait presque le rôle de puissance modératrice, n’a-t-elle pas fait volte-face, et n’a-t-elle pas été souvent le boute-en-train des plus étranges équipées anti-sociales ? C’est pourquoi le péché d’orgueil et d’indiscipline chez un talent féminin cause peu de surprise et de colère, et pourquoi le langage le plus convenable encore est celui du regret et de la douceur. L’artiste indocile, quand il est désintéressé, est derrière une bonne cuirasse. Mais que se passe-t-il donc aujourd’hui ? L’enthousiaste néophyte oublie sa cause, et met son talent au service des opinions dont elle se moquait naguère avec une intarissable verve, ou qu’elle maudissait avec colère, selon son humeur. Aurions-nous donc été dupes ? Aurions-nous eu tort de prendre au sérieux les grands mots d’art, de poésie, d’avenir, si souvent invoqués, et de ne pas apercevoir sur les lèvres qui annonçaient une foi nouvelle le sourire des augures ? Les pompeuses promesses de dévouement, les vagues aspirations vers l’infini, se réduiraient-elles à une question de sesterces ? Ah ! que diraient alors les disciples, s’il y en avait ? Ils auraient beau jeu pour se plaindre. Ils aimeraient mieux douter, et ne pas croire que la prêtresse, grace à de certains argumens, est descendue de sa chaire pour aller s’employer de son mieux à grouper des cliens autour de choses et d’idées qu’elle accablait hier de mépris et poursuivait de sarcasmes. En effet, cela se peut-il ?

Supposons néanmoins que cela fût possible ; il en résulterait au premier abord, chose singulière ! un avantage pour l’écrivain. Le poète, devenu fabricant de feuilletons, comme il a dit quelque part, serait contraint de renoncer au rôle d’hiérophante. Afin de ne pas déplaire à son nouveau public, on serait forcé de se dépouiller de cet attirail philosophique qui paralysait tous les mouvemens et leur ôtait toute leur grace native, de telle sorte que l’amour de l’argent et le métier guériraient pour un moment des aberrations de l’orgueil, et rendraient un grand service provisoire qu’ils se feraient payer plus tard d’une façon terrible, comme un usurier qui vous sauve d’abord d’un mauvais pas pour vous jeter ensuite dans un gouffre. Ainsi, même en rentrant dans le sentier où sont les véritables succès, et en ayant l’air d’obéir au bon sens, on n’obéirait qu’à une circonstance impérieuse.