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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/888

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REVUE DES DEUX MONDES.

nouirent d’eux-mêmes. On crut à André Chénier comme à un poète authentique et réel… »

Tout cela veut dire, en style embarrassé, que, lorsque M. de Latouche publia en 1819 les poésies d’André Chénier, quelques personnes n’auraient pas été fâchées de croire ou de donner à entendre que ces poésies étaient, au moins en partie, du fait du célèbre éditeur ; il est dommage que M. Fremy n’ait pas été à cette époque en âge de se former un avis, on peut conjecturer, au ton dont il en parle, que cette supposition ne lui aurait pas déplu ; ce qui est bien certain, c’est que M. Fremy a depuis éprouvé moins de joie que de regret chaque fois qu’un zèle curieux est venu ajouter au premier recueil du poète quelques pièces nouvelles : on a pu craindre, dit-il, d’en voir le nombre s’accroître indéfiniment ; il trouvait qu’il y en avait bien assez sans cela. Le fond du cœur commence à percer : ce n’est pas un ami, ce n’est pas même un indifférent qui écrit ici sur André Chénier. D’où vient cette dent première ? Je l’ignore. Anacréon dit qu’il y a un petit signe auquel on reconnaît les amans ; il y a aussi un petit signe, un je ne sais quoi auquel se reconnaissent d’abord ceux qui ont un parti pris de ne pas aimer.

M. Fremy entre en matière par se poser sur André Chénier la question solennelle et formidable que voici : « Doit-il être, dès à présent, considéré comme le souverain représentant de la littérature poétique de notre siècle ? » Et il part de là pour réfuter ; c’est se faire beau jeu en commençant. J’avoue que, malgré ma prédilection pour l’excellent poète, je n’avais jamais songé jusqu’ici, ni personne non plus, je pense, à lui déférer cette représentation universelle et souveraine. André Chénier, en effet, à le prendre comme un de nos contemporains, selon la fiction qu’on aime, serait du groupe de Béranger, Victor Hugo et Lamartine ; c’est un des quatre, si l’on veut, et à ce titre il ne représenterait qu’un des côtés de la poésie de notre époque, ce qui est tout différent.

Je ne suivrai pas M. Fremy dans ses préambules assez tortueux ; il ne manque pas de décocher au passage bon nombre d’épigrammes sourdes contre les inventeurs de rhythmes nouveaux, qui, en ce temps-là, se prévalurent de l’autorité d’André Chénier ; ce sont déjà de bien vieilles querelles dans lesquelles les épigrammes elles-mêmes ont le tort d’être devenues fort surannées. Qu’il sache de plus que même dans leur nouveauté elles ont été impuissantes, et que les points essentiels, les seuls auxquels on tenait, demeurent désormais gagnés. M. Fremy a l’air de penser à un endroit que le rapprochement qu’on