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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/921

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REVUE. — CHRONIQUE.

on le placerait entre une faiblesse et une folie, annonce aujourd’hui que le principe d’une négociation est accepté à Londres. M. le ministre des affaires étrangères se croyait appelé à signer une convention commerciale avec l’Angleterre, il en faisait la condition et la base même de sa politique, et tous ses efforts ont abouti à la convention linière, que le cabinet britannique a dû subir avec résignation et sans murmure ; enfin M. Guizot voulait associer triomphalement la chambre aux actes de 1842, par lesquels il venait, d’accord avec l’Angleterre et l’Autriche, de régler à Constantinople l’état politique de la Syrie, et le parlement, prévoyant la conséquence inévitable de cette organisation anarchique, déclinait cette solidarité en exprimant le vœu qu’on rendît à ces populations leur vieille administration indigène. C’est ce que M. le ministre des affaires étrangères tente en ce moment. Sous ce rapport, l’argumentation de M. Billault restait irréfutable. Si le cabinet du 29 octobre garde le pouvoir depuis plus de trois ans, c’est sous la condition expresse de renoncer à la plupart de ses projets, et d’appliquer une politique qui n’est pas la sienne. La dotation, les ministres d’état, le banc des évêques, auront le même sort que les traités de commerce et le droit de visite ; on y renoncera pour vivre, parce qu’on n’y tient pas assez pour s’exposer à périr en les défendant. D’où vient ce phénomène et cette sorte de contradiction ? D’où vient que l’opposition gouverne négativement au moins, et que ses idées triomphent lors même que ses hommes sont le plus vivement repoussés par la majorité ? N’est-ce pas la faute de ces hommes eux-mêmes ? ne doivent-ils pas s’en prendre à un défaut d’esprit de conduite qui paralyse l’effet des talens les plus heureux comme celui des positions les plus fortes ? Un mélange d’irritation et d’inertie, des apparences d’intrigue combinées avec une inaction véritable, ne sont-ils pas pour beaucoup dans les difficultés qu’on rencontre ? Les successeurs naturels du cabinet dans l’une et l’autre chambre ont-ils une attitude parlementaire ? Leur conduite est-elle de nature à encourager leurs amis, et le silence est-il devenu, avec le soin de ses intérêts privés, le seul devoir, la seule politique des prétendans aux portefeuilles ?

Tel était le sens des conversations de la chambre au moment où le chef du cabinet du 1er mars a demandé la parole sur la grande question de Montevideo. Jamais intervention ne fut plus imprévue, jamais parole ne fut plus vive, jamais effet ne fut plus saisissant. M. Thiers a dominé la chambre à un point dont il est difficile de citer beaucoup d’exemples : il a parlé tour à tour au bon sens et à la conscience, aux intérêts et aux sentimens du pays, et a, en un seul jour, vulgarisé pour la chambre et pour la France une affaire que l’éloignement des lieux et l’incertitude des évènemens avaient jusqu’ici empêché de bien connaître. On n’ignorait pas que, par suite des excitations originairement imprudentes, mais vives et continues, des agens consulaires français, l’état de Montevideo se trouvait engagé depuis cinq ans avec le gouvernement de Rosas dans une querelle dont