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lesquelles l’influence des prêtres est encore très grande. En agissant de la sorte, M. Gioberti se montrait habile ; il se donnait deux leviers puissans pour remuer le peuple : l’idée religieuse et l’idée nationale. L’événement a prouvé qu’il ne se trompait pas. C’est aux cris mêlés de viva Pie IX et fuori i barbori qu’on s’est soulevé à Milan et qu’on se bat aujourd’hui en Lombardie.

La publication du Primato donna naissance à un autre ouvrage non moins remarquable : les Speranze d’Italia, dans lequel M. le comte Balbo, aujourd’hui premier ministre du roi de Sardaigne, se prononça plus nettement encore. Ce livre était un acte de courage. Parler contre l’Autriche à cette époque, c’était, même à la cour de Turin, courir grand risque de l’exil. À ces deux écrivains, qui venaient de prendre si hardiment l’initiative, ne tardèrent pas à se joindre deux hommes des plus éminens de l’Italie, l’illustre marquis Capponi et M. Massimo d’Azeglio, qui dès-lors se dévouait avec un noble désintéressement à la cause nationale, dont il a été depuis un des plus infatigables champions. Après eux vinrent MM. Petitti et C. de Cavour, économistes distingués de Turin, M. Marco Minghetti, jeune publiciste de Bologne, devenu dans la suite député de sa province et ministre à Borne, MM. Salvagnoli, Galeolti et Ubaldino Peruzzi à Florence, les professeurs Montanelli et Centofanti à Pise, etc. La nouvelle école se recrutait rapidement de tout ce qu’il y avait d’esprits d’élite et de talens éprouvés, et ne tarda pas à faire par ses écrits une active propagande. Surexciter dans la population le sentiment de la nationalité, tout en répandant les idées libérales ; réclamer des gouvernemens l’accomplissement de réformes progressives, seul moyen pour eux de couper court aux insurrections, dont leurs trônes avaient été tant de fois menacés, de remplacer par l’appui de leurs sujets l’appui qu’ils recevaient de l’Autriche, et de préparer ainsi l’affranchissement de leurs états, tel était le plan qu’on suivit avec persévérance pendant deux années.

L’influence des libéraux s’exerçait principalement en Piémont, en Toscane et dans la Romagne. En Piémont, où l’absolutisme et les préjugés aristocratiques et religieux semblaient devoir, plus que partout ailleurs, opposer une barrière à leurs efforts, la haine de l’Autriche était populaire ; l’agrandissement de la maison de Savoie, aux dépens des maîtres de la Lombardie, était chez le souverain comme dans la nation un projet avoué, et auquel on se préparait de longue date. Les libéraux ne manquèrent pas d’exploiter ces dispositions. En toutes circonstances, ils se firent les avocats des griefs nationaux contre l’Autriche, et ce fut une polémique vigoureuse, engagée au mois de mai 1846, entre eux et les journaux de Vienne et de Trieste, au sujet de l’établissement d’un réseau de chemins de fer en Piémont, qui amena le premier refroidissement sensible entre la cour de Turin et le cabinet autrichien. En Toscane, l’indulgence du pouvoir et un certain degré de liberté qui datait des réformes jadis entreprises par Léopold Ier, aïeul du grand-duc régnant, laissaient aux libéraux le champ plus libre. Pise fut un des points où les opinions philosophiques et politiques de M. Gioberti trouvèrent le plus de faveur. Entre toutes les universités, celle de Pise se distinguait par une teinte de mysticisme exalté, qui l’a fait surnommer la spéculative par excellence, Pisa cogitabunda. Parmi ses professeurs, de nombreux et chauds adhérens se déclarèrent pour une doctrine qui fondait l’alliance de la religion et de la liberté.