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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/516

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Epistoloe obscurorum virorum sont un chef-d’œuvre de polémique, et j’ajoute d’une polémique bien allemande. Frédéric-le-Grand les a comparées aux Provinciales ; si Ulric de Hutten est, à certains égards, le Pascal de l’Allemagne, c’est qu’il a vigoureusement exprimé, à la veille de la réforme, toutes les passions ardentes, toutes les antipathies railleuses et sensées de la race germanique, de même que l’auteur des petites lettres a mis en relief avec un incomparable génie l’éternelle droiture de l’esprit français et son horreur de l’équivoque. Rien de plus français que les Provinciales, rien de plus allemand que le bizarre pamphlet d’Ulric de Hutten. Aujourd’hui, assurément, il ne faut pas demander à l’écrivain politique la gaieté un peu brutale du XVIe siècle ; mais si son œuvre est coquette et maniérée, s’il s’ingénie péniblement à chercher une douteuse élégance, je le récuse : ce n’est pas l’Allemagne qui a parlé ici. Encore une fois, le premier principe dans ce grand art du publiciste, c’est la haine de tout ce qui est factice.

Or, voici un pamphlet qui me semble irréprochable sur ce point. C’est une œuvre nette et vraie, tout-à-fait étrangère aux prétentieuses contrefaçons de la jeune Allemagne, et d’où s’exhale naïvement je ne sais quelle franche odeur de terroir. Écrite il y a quelques mois pour une situation bien différente de celle où nous sommes, elle mérite encore un examen sérieux. Il est difficile, en effet, de mieux obéir à l’inspiration germanique ; il est difficile de se montrer plus sincère. L’auteur est un savant, et son pamphlet est un travail d’érudition. Il a été professeur et théologien ; son pamphlet sera une leçon de théologie. Point d’apprêt mensonger, point de déclamation théâtrale, rien de ce faux clinquant, si détestable en toute circonstance, et particulièrement odieux dans les lettres politiques. La sincérité, d’ailleurs, ne nuit pas à la finesse ; le pamphlet dont je vais parler est plein d’esprit, et du meilleur. Sous ce bon sens tranquille, sous cette bonhomie professorale, les hardiesses les plus vives se font jour avec un éclat inattendu, et cette leçon de théologie, avec ses citations judicieuses, avec sa rédaction si calme, pourrait bien être le résultat le plus complet et le plus décisif de toute la polémique libérale pendant ces quinze dernières années.

Quels que soient cependant les mérites de ce pamphlet, il ne saurait plus être proposé en exemple. La révolution de Berlin a donné aux publicistes des armes mieux trempées pour une guerre toute nouvelle. L’ouvrage dont je vais parler est le dernier des écrits de la veille. C’est pour cela précisément que j’ai cru devoir l’examiner avec soin ; en étudiant cette spirituelle et bizarre composition, nous sommes sur la limite de deux époques, et, si nous y trouvons un excellent résumé de l’ancienne polémique, nous y voyons surtout ce qui manque aux publicistes d’hier, et dans quel sens ils doivent se transformer eux-mêmes