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révoltes s’agitent sous des apparences de quiétude et de calme ; mais ce titre, et ce sera là notre première critique, a l’inconvénient de nous faire pressentir autre chose que ce qu’il nous donne. Au lieu de nous peindre ce secret malaise qu’introduit dans une famille l’antagonisme presque inévitable entre les enfans d’un premier lit et les exigences d’une seconde femme, sujet qui, malgré sa simplicité, aurait pu suffire à défrayer tout un drame, la pièce de M. de Balzac nous offre le tableau d’une rivalité féminine, d’un duel acharné entre une femme mariée et une jeune fille, éprises toutes deux du même homme, l’une avec la fougue impitoyable d’une suprême et unique passion, l’autre avec une énergie toute virile et l’imperturbable astuce d’un diplomate en robe blanche. La qualité de marâtre n’ajoute rien à ce que cette lutte peut avoir de dissimulation ardente et de haine contenue. Les simples convenances sociales suffiraient pour établir entre deux femmes du monde cet échange de démonstrations caressantes ou polies, servant de masque et de voile à d’implacables ressentimens.

Si nous passons sur cette critique préliminaire, nous devons dire que, dans ses deux premiers actes, M. de Balzac a fait preuve d’un très grand talent. La crédulité sexagénaire de ce général Grandchamp, lion muselé par une femme artificieuse et dépravée ; la présence, au cœur du foyer domestique, de ce jeune homme caché sous un nom d’emprunt, fils d’un de ces traîtres dont la défection a causé la chute de l’empereur, et qui sont pour Grandchamp l’objet d’une haine féroce ; le double amour que ce jeune homme inspire à Pauline, la fille du général, et à Gertrude, sa seconde femme ; l’intervention du médecin et du procureur du roi, ces deux types dont M. de Balzac a fait si souvent ses fondés de pouvoirs ; enfin, l’innocente malice de cet enfant terrible qui peut, par un mot, jeter un jour soudain sur d’effrayans mystères, voilà, certes, des élémens dramatiques renfermant en germe des scènes émouvantes et de saisissans effets. Il y a dans les aspects de cette vie paisible, monotone, patriarcale, où le spectateur distrait ne peut surprendre qu’inoffensifs passe-temps et affectueux sourires, quelque chose de ce calme inquiétant, de cette anxiété secrète qui précède les orages et dispose à l’émotion. C’est beaucoup, c’est déjà un succès très réel que d’avoir su, sans tomber dans les vulgarités du mélodrame, prouver qu’autour d’une causeuse et d’une table de whist les passions humaines pouvaient jeter autant de vraie tragédie que dans le monde idéalisé où se meuvent les personnages historiques.

Malheureusement, la seconde partie du drame de M. de Balzac dément et altère l’effet de la première. Là nous retombons en plein mélodrame ; là nous retrouvons l’opium, le poison, toute cette pharmacie criminelle à laquelle le drame moderne semblait n’avoir pas laissé une seule goutte. Là les physionomies s’effacent ou se vulgarisent. Ce médecin et ce magistrat, posés d’abord en observateurs, en sentinelles à l’entrée de ce draine, où leur sagacité a tant de choses à prévenir ou à pénétrer, sont, dès le second acte, destitués de tout rôle actif ; ils rentrent dans leurs attributions banales, l’un en épuisant vainement les ressources de son art auprès de la jeune fille empoisonnée, l’autre en reparaissant, au dénouement, avec son cortège officiel de juges et de gendarmes. Les caractères principaux fatiguent à la longue, par suite de cette exagération familière à l’auteur, toujours disposé à pousser à bout les sujets qu’il traite. Il y a quelque