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dont le roi fera si bien son profit. S’il eût chanté le même sujet vingt ans plus tard, nul doute qu’il n’eût emprunté bien des lieux communs à l’école de Goerres et de Frédéric Schlegel. Les vers du prince doivent donc un certain intérêt à leur sincérité. La forme en est bizarre, elle est heurtée, saccadée, elle a déjà quelques-unes de ces prétentions tudesques, de ces coquetteries barbares, qui iront se grossissant chaque jour, et dont je parlerai tout à l’heure ; mais on est moins choqué de ces mensonges du langage, tant on est reconnaissant pour la franchise de la pensée. Au reste, si le poète songe peu à la Rome catholique, c’est qu’il est tout préoccupé de la chute des puissances humaines. Ce désert de Rome, ces ruines désolées, le silence de cette grande cité de la mort, tout ce qu’il voit enfin le console de l’abaissement de l’Allemagne. Il y a parfois dans ces élégies lamentables des cris furieux contre la France : « Rome a été la maîtresse du monde par la force, et c’est par la force qu’elle a péri. Toi aussi, ô Paris, tu crouleras un jour ! » - Et comme pour fortifier en soi ces sinistres espérances, il s’en va toujours de ruines en ruines, de décombres en décombres, il s’en va remuant la poussière des héros dans les tombeaux abandonnés et répétant aux échos sa psalmodie monotone : « Les plus grands empires sont morts, cette cendre que je foule aux pieds a été la souveraine du monde. » - Je ne sais, mais, en dépit du lieu commun, il y a là quelque chose de bizarre et de saisissant. Les circonstances historiques, assurément, donnent à cette poésie un je ne sais quoi qui n’appartient pas à l’auteur ; le résultat cependant n’en est pas moins dramatique, et c’est une scène originale que la mélancolique vengeance de ce jeune prince errant, comme Hamlet, parmi les fosses d’un cimetière, et récitant les litanies des morts pour injurier Napoléon.

Après la chute de l’empire, pendant les dix années qui précèdent son avènement au trône, le premier soin du prince est de mettre à profit, comme nous l’indiquions plus haut, la victoire de l’Allemagne. C’est ici que commence pour lui le romantisme, c’est-à-dire cet esprit réactionnaire dont il sera le chevalier parfois si ridicule.

Depuis le commencement du siècle, une réaction, utile à certains égards, s’était produite dans l’imagination des artistes. Les compositions enfantines de maître Stéphan de Cologne, les naïves œuvres des deux Van Eyck, de Jean Hemmling, de Lucas de Leyde, de Wohlgemuth et d’Albert Dürer, tous les vieux monumens de l’art germanique avaient été remis en honneur par une école passionnée, et de jeunes peintres renouaient avec amour cette tradition interrompue depuis trois cents ans. Le prince royal de Bavière comprit bien quel parti l’on pouvait tirer de cette renaissance du moyen âge national, et l’archaïsme fut adopté aussitôt par la contre-révolution. On voudrait trouver dans les poésies du prince quelques indications complètes sur ce romantisme