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l’ancre mord partout dans un sable vaseux d’une ténacité à toute épreuve. C’est la seule atténuation que la nature ait apportée aux mauvaises qualités de cette partie de la côte.

Si l’état doit exécuter encore de grands travaux dans l’ensemble des ports de la Somme et des falaises, l’accomplissement de sa tâche est maintenant assez avancé pour le mettre à l’abri du reproche de l’avoir négligée. Tous ces ports sont assujettis, les uns aux invasions des galets, les autres à celles des sables ; presque tous sont pourvus du moyen le plus efficace de combattre ce fléau, c’est-à-dire d’écluses de chasse et de bassins de retenue ; mais ces bassins reçoivent des eaux chargées du limon des falaises, ils s’envasent rapidement, et leur action devient de jour en jour moins puissante. Cet inconvénient serait fort diminué, si partout, comme à Fécamp, l’agriculture adoptait l’usage d’amender les terres avec la vase marneuse qui se dépose, ou si, à l’exemple des ingénieurs des ponts-et-chaussées, les autres constructeurs employaient à leurs travaux l’excellente chaux hydraulique qu’elle produit. La marine elle-même peut trouver dans ces matières aujourd’hui dédaignées un objet d’exportation ; mais tant que l’agriculture et la fabrication de la chaux ne suffiront pas au déblai des bassins, nous devrions imiter les Hollandais, qui ferment les leurs aux eaux troubles de la mer et ne les remplissent que des eaux claires fournies par l’intérieur des terres.

L’abondance ou la rareté du tonnage au lieu de départ est, on le sait, ce qui fait la prépondérance ou l’infériorité des marines locales ; celles-ci ont encore plus besoin de marchandises encombrantes pour remplir leurs navires que de bassins pour les recevoir. Dans les échanges avec l’étranger, la côte que nous venons d’explorer reçoit en général un tonnage quadruple de celui qu’elle expédie, et sa part dans le mouvement international est le dixième seulement de celle des pavillons rivaux. Ainsi, en 1846, le tonnage des bâtimens chargés a été, à l’entrée, de 105,122 tonneaux ; à la sortie, de 26,183, et dans le mouvement total, bâtimens sur lest compris, le pavillon français figure pour 20,864 tonneaux, les pavillons étrangers pour 201,753. Le mouvement du cabotage donne des résultats peu différens : dans cette même année, la côte a reçu par lui 92,890 tonneaux et n’en a rendu que 25,380. Pour atténuer ces disproportions, il faut chercher du tonnage, et nous n’en saurions trouver qu’en tournant nos regards du côté de la terre. La culture des champs, l’aménagement des forêts, l’exploitation des tourbières de la Somme et même des roches des falaises fourniront, quand on saura les leur demander, les moyens de rétablir l’équilibre.

Les fraîches vallées qui sillonnent le plateau crayeux des falaises sont trop étroites et trop bien cultivées pour offrir beaucoup de ressources