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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/131

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et ce dédain ou cette insouciance du terre à terre a empêché l’originalité populaire de se dégager aussi vivement que dans les autres pays. Nous ne savons pas, comme les Anglais, extraire de la réalité grossière et des objets à portée de notre main la poésie qu’ils contiennent ; notre vie de famille est terne, et n’a pas cette douceur intime qui prête tant de charme à la vie domestique allemande. Les objets familiers n’excitent pas notre intérêt ; une cabane reste pour ses hôtes une habitation peu comfortable, le travail de chaque jour est une chaîne que la destinée nous condamne à porter. Il serait donc inutile de chercher dans nos mœurs de la vie ordinaire, comme nous le faisons pour les autres pays, une expression de notre génie. Si jamais mœurs populaires ont été plates et sans couleur, ce sont nos mœurs populaires ; mais ce fait est encore une confirmation de la thèse que nous soutenons. Le Français supporte, mais n’aime pas la réalité. Il subit la vie qui lui est faite, sans réagir contre elle pour l’embellir et la parer. Il se laisse emmaillotter par elle dans les liens de la routine ; il sépare son imagination des choses qui l’entourent. Il fait deux parts de sa vie, une part pour l’habitude, une part pour ce que j’appellerai l’utopie, faute d’un meilleur mot. Il étouffe et s’étiole dans la vie calme ; pour qu’il se retrouve lui-même, il lui faut les émotions inattendues, les brillans spectacles, les fêtes nationales, l’agitation bruyante. Alors il respire là où d’autres étouffent, et dans cette vie d’un moment, factice, exceptionnelle, fiévreuse, il reconnaît l’image fugitive de la vie qu’il aurait voulu mener. De là l’amour du Français pour les pompes extérieures du pouvoir, pour les parades militaires, pour toutes les charges et voltiges politiques et guerrières, pour les bruyantes émeutes et les répressions non moins bruyantes de ces émeutes. La vie politique et civile n’a peut-être été si faible en France que parce qu’elle présente au premier aspect trop de ressemblance avec la vie ordinaire ; elle demande la même lenteur, la même patience, le même courage uniforme et ennuyeux. Ce dédain de la vie vulgaire, cet amour des spectacles et des pompes, nous ont fait juger avec une sévérité méritée, mais qui, je crois, frappe à côté du vice réel. On l’a appelé vanité française, gloriole militaire, légèreté, étourderie de caractère ; je crois qu’il faudrait l’appeler plutôt dépravation du sentiment de l’idéal et impatience fiévreuse de la vie réelle.

Le peuple tient donc dans notre histoire beaucoup moins de place que les institutions, mais il a sa place cependant, une très glorieuse et à tous égards très surprenante. Nous avons dit que la vie vulgaire était terne en France, et que la vie exceptionnelle, au contraire, y était très brillante ; le même contraste se reproduit dans l’histoire politique. Le rôle politique du peuple n’a pas de marche