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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/133

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tion, mais toujours heureuse d’être arrachée pour un moment à sa vie ordinaire, d’assister à un beau spectacle, de participer à un acte plein d’éclat, et se réveillant aux heures de crise suprême avec une énergie, une certitude d’elle-même, une confiance quasi religieuse en ses destinées, qui surpassent les vertus des autres peuples. Ces réveils de l’esprit français sont toujours redoutables, et se sont multipliés singulièrement de nos jours, tandis qu’autrefois ils n’éclataient que lorsque le danger ou le mal avait comblé toute mesure. Il ne faut point trop médire de la fréquence de ces mouvemens, car ils indiquent que la France est plus en possession d’elle-même qu’elle ne l’était autrefois. La France n’a jamais eu d’éducation politique, et son seul talent en cette matière a toujours été de se sauver elle-même et de réparer ce que sa paresse avait laissé faire. Aujourd’hui elle est moins patiente, et on peut sans paradoxe regarder cette impatience comme une preuve du progrès de l’esprit public. La France, dans ses mouvemens périodiques, dont quelques-uns ont été si malheureux, se montre fidèle à son passé : n’ayant jamais témoigné de son existence politique que dans ces heures de surexcitation, elle continue à être ce qu’elle a toujours été. C’est une manière de faire son éducation, bizarre et dangereuse sans doute, mais tellement conforme à son génie et à son histoire passée, qu’on peut dire sans exagération que ce n’est qu’ainsi que la France prendra entière possession d’elle-même. Plus la fièvre se régularisera, moins elle sera intermittente, et plus cette éducation sera complète. Bien des années s’écouleront encore avant que cette surexcitation anormale se soit régularisée en une agitation incessante et salutaire ; mais si ce phénomène peut jamais s’accomplir, jamais vie politique n’aura été plus féconde, plus variée et plus émouvante que ne le sera celle de la France de cette époque. En attendant, je conseille à tous les gouvernemens de se méfier de ces réveils de l’esprit français, car ils sont plus fréquens que par le passé, et la force de l’habitude, qui fit la longue sécurité du pouvoir monarchique, s’est beaucoup usée depuis soixante ans.

Ainsi il ne faut chercher le génie de la France ni dans l’originalité de ses mœurs populaires, qui ont été de tout temps un peu effacées, ni dans sa vie politique, qui a toujours été intermittente et fiévreuse, et cependant là encore nous avons pu retrouver quelques traits de ce génie. Si les mœurs du peuple français manquent d’originalité, son esprit est des plus remarquables, et si son expérience politique a été faible, son activité intellectuelle a été immense. C’est par là qu’il doit être jugé. Le Français peut abdiquer ses droits et se tenir à l’écart des affaires qui touchent ses intérêts, mais jamais il n’a renoncé et ne renoncera, je l’espère, à ses droits de citoyen du