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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/149

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écrivains politiques de son pays nous ont de tout temps habitués. Ce n’est pas que cette Vie de Goethe contienne rien de bien nouveau, tant sur le personnage que sur ses écrits ; le principal mérite en est moins dans la découverte de faits inconnus que dans la mise en œuvre intelligente et méthodique de documens que la foule peut ignorer, mais qui, pour tous les esprits instruits de la question, appartiennent depuis longtemps au domaine de la publicité. Aussi est-on tenté de se demander où se trouvent ces sources inédites, unpublished sources, auxquelles l’ingénieux auteur fait allusion dans son titre. Est-ce que par hasard M. Lewes entendrait parler d’une lettre de M. Thackeray, racontant certains détails sur les impressions qu’il éprouvait en présence de Goethe[1] ? Ce serait là bien peu de chose. À vrai dire, de source nouvelle en pareil sujet, de source où personne encore n’ait puisé, il n’en existe guère désormais qu’une seule, la correspondance de Goethe avec le grand-duc Charles-Auguste. Le jour où ces précieux documens verront la lumière, il y a lieu de croire que la liste des archives à consulter s’enrichira d’une pièce importante, et l’on ne peut là-dessus que s’en remettre au rare discernement du grand-duc régnant, qui sait le prix d’un pareil dépôt, et le fera servir en temps et lieu à l’histoire de son illustre aïeul. Quoi qu’il en soit, l’ouvrage de M. Lewes, s’il n’apporte pas à la question des renseignemens inédits, résume du moins excellemment tous ceux que l’on connaît, et c’est ce que nous voudrions à notre tour essayer de faire pour la France, en nous établissant au milieu de cette période dans laquelle se passa la jeunesse de Goethe, période favorable entre toutes, où l’homme et le poète eurent la bonne fortune de pouvoir se développer sans aucune de ces gênes plus ou moins hypocrites que les bienséances empêcheraient aujourd’hui, et dans l’entière plénitude de leur originalité.


I.

Au printemps de l’année 1772, Goethe arrivait à Wetzlar, en proie à cette humeur sauvage, à ce ferment de jeunesse qu’il a lui-même si bien caractérisés en divers passages de ses mémoires. Quand on

  1. Vers 1830, M. Thackeray, se trouvant à Weimar en compagnie d’une vingtaine de jeunes compatriotes, y fut reçu par la société de la résidence avec cette grâce hospitalière bien connue, qui fait dire à M. Lewes : « De société plus simple, plus avenante, plus courtoise, plus gentlemanlike, je n’en ai jamais rencontré. » Admis dans le cercle intime de la belle-fille de Goethe, où son talent de caricaturiste plaisait beaucoup, M. Thackeray y rencontra maintes fois le vieux Wolfgang, dont il trace dans cette lettre un portrait qui se rapproche assez exactement de la statuette de Rauch, et se termine par ces termes de respectueux enthousiasme : In truth, I can fancy nothing more serene, majestic and healthy looking than the great old Goethe.