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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/165

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l’aimable Catherine Schoenkopf, dont on se rappelle malgré soi le roman en feuilletant les extraits du journal de Kestner à cette date du 10 septembre 1772. « Goethe et moi, nous dînâmes ensemble au jardin, et j’étais certes loin de me douter que ce fût pour la dernière fois. Le soir, il vint au Teutsche Haus ; nous eûmes, Charlotte, lui et moi, un entretien des plus singuliers au sujet de l’autre vie, de la séparation, du retour, etc., entretien qui fut provoqué par Charlotte, et non point par Goethe, et à la suite duquel nous convînmes que le premier d’entre nous qui mourrait viendrait, autant qu’il le pourrait, donner aux survivans des nouvelles de ce qui se passe au-delà de cette vie. Goethe était très abattu, car il savait qu’il devait partir le lendemain au matin. »

Écoutons maintenant le récit de ce départ et des pénibles émotions qui en résultèrent pour les deux fiancés, pour toute la maison. « 11 septembre. Goethe est parti ce matin à sept heures sans prendre congé et laissant pour moi quelques livres avec un billet. Il nous avait parlé déjà plusieurs fois d’un voyage vers cette époque à Coblentz, où il devait rejoindre M. Merck, ajoutant que son intention était de ne point faire d’adieux et de déloger subitement. Aussi m’y attendais-je, et cependant j’ai senti au fond du cœur que je n’y étais pas préparé. Je revenais de mon bureau, lorsqu’on me dit : Voilà ce que le docteur Goethe a laissé pour vous ce matin. Je vis des livres avec un billet, et devinant ce qu’il en était, je me dis : Il est parti, puis demeurai confondu. La conseillère Langen n’y voulait pas croire, et nous envoya sa femme de chambre pour nous dire qu’il était impossible que le docteur Goethe fût assez mal appris pour quitter ainsi les gens sans les prévenir, à quoi Charlotte répondit qu’en ce cas c’était à elle, sa tante, de se reprocher de n’avoir pas mieux élevé son cher neveu. »

Pour en avoir enfin le cœur net, Charlotte fit porter chez Goethe un nécessaire qu’elle avait à lui. Personne ! La conseillère Langen n’en revenait pas ; à midi, elle voulait à toute force écrire à la mère de Goethe comment son indigne fils s’était comporté. « Tous les enfans pleuraient en s’écriant : Le docteur Goethe est parti !… Plus tard, je rencontrai M. de Born qui l’avait accompagné à cheval jusqu’à Braunfels. Goethe lui avait conté notre entretien d’hier au soir, puis s’était éloigné fort abattu et découragé. Enfin je remis à Charlotte le billet de Goethe, je la trouvai tout affligée de ce départ ; en le lisant, les larmes lui vinrent aux yeux, et néanmoins ce départ avait son bon côté, puisqu’elle ne pouvait pas lui donner ce qu’il souhaitait. Nous ne parlâmes que de lui, et je ne pouvais me détacher de sa pensée. Comme on cherchait à dénigrer la manière dont il nous avait quittés, je pris sa défense avec chaleur contre une