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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/177

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que le vent fouettait derrière lui ses draperies ! Ta mère était là sur la glace, et c’était à elle qu’il voulait plaire ! »

Tout ceci évidemment n’indique pas une conscience fort en proie à des idées de suicide, et, comme une autre preuve de cet état moral, je citerai la boutade intitulée : les Dieux, les Héros et Wieland (Gœtter, Helden und Wieland), production satirique de la même période. Infortuné Wieland ! il semble que sa destinée soit d’être assailli de tous côtés. En même temps que Goethe, son ami pourtant, le harcèle d’un impitoyable sarcasme, pour avoir, en affublant les dieux immortels de perruques poudrées et de culottes de satin, commis le plus horrible crime dont, aux yeux de ce dernier païen, on se puisse rendre coupable, les chrétiens lui jettent la pierre comme au plus immoral des écrivains ; Lavater le déclare athée en fulminant l’anathème, et, soulevée par un de ces antagonismes littéraires qui ne le cèdent en rien aux discordes religieuses et politiques, toute l’école de Gœttingue choisit, en 1773, l’anniversaire de la naissance de Klopstock pour faire de ses œuvres un solennel auto-da-fé. Lui cependant, Wieland, honnête et débonnaire, philosophe comme il a été irréligieux, sans le savoir, c’est à peine s’il s’émeut de tout ce bruit, de tout ce scandale qu’on évoque autour de son nom, et quand il parle de ces virulentes satires qu’on lui décoche, c’est pour les recommander aux lecteurs du journal qu’il rédige (le Mercure allemand) comme d’excellentes pasquinades ; semblable au divin Socrate, qui se levait au milieu d’une représentation théâtrale afin de mettre l’assemblée entière à même de contempler l’original du sophiste que bafouait sur la scène Aristophane !

D’après tout ce qu’on vient de lire, il est clair que jusqu’ici Werther ne donne pas signe de vie, et remarquez que nous sommes en décembre 1773, c’est-à-dire à quinze mois de distance de ce jour à jamais déplorable où l’on quittait Wetzlar. À Noël, Kestner, ayant à se rendre à Hanovre, où l’appellent les devoirs de son emploi, annonce sa nouvelle installation à Goethe, qui lui répond par ces paroles, que bientôt d’ailleurs démentiront les actes : « Mon père n’aurait aucune répugnance à me voir prendre du service au dehors ; mais, songez-y, cher Kestner, ces talens et ces forces dont je dispose, j’en ai trop besoin moi-même pour les pouvoir employer ailleurs. Et puis, accoutumé comme je suis à n’agir que sur mon instinct, comment croire que je réussirais jamais à servir un prince ? » Résolution bien aventurée, quand on pense que notre philosophe s’engageait deux ans plus tard, et pour ne le plus quitter jusqu’à sa mort, au service d’un souverain. Il est vrai que ce prince était Charles-Auguste, l’homme le mieux fait pour comprendre Goethe, car il lui ressemble par les divers points cardinaux, et cet air de fa-