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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/328

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Thierry à l’admiration de tous les érudits, il y a cent contre un à parier qu’il n’aurait jamais pu épuiser et mettre au net la narration de Grégoire de Tours, si, au lieu de s’enfermer dans la période mérovingienne, il eût essayé d’embrasser d’un regard tous les événemens accomplis dans notre pays depuis le Ve jusqu’au XIXe siècle. Nous devons souhaiter qu’un esprit aussi courageux, aussi pénétrant que le sien fasse pour la période carlovingienne ce qu’il a fait pour la première période, car la période carlovingienne n’est pas encore inondée de lumière. A partir de la troisième race, tout devient plus facile à comprendre. Les témoignages se multiplient en même temps que la société s’organise.

M. Poirson vient de publier sur le règne d’Henri IV une monographie qui mérite d’occuper l’attention. Lors même qu’on ne partagerait pas toutes ses opinions, on serait forcé de reconnaître qu’il a épuisé toutes les sources d’information. On peut juger les faits autrement que lui; dans les documens que nous possédons, il serait difficile de trouver un fait qu’il ait passé sous silence. Peut-être ne s’est-il pas renfermé rigoureusement dans les limites de l’histoire proprement dite. Passionné pour la tâche qu’il s’était imposée, il a voulu l’accomplir jusqu’au bout, et dans son désir de ne rien omettre, peut-être lui est-il arrivé de traiter des questions qui ne se rattachent pas directement au sujet de son livre. Ce surcroît de bonne volonté doit exciter notre sympathie. Parmi les écrivains de nos jours, il y en a bien peu qui cèdent à une pareille tentation. Au lieu de franchir les limites qui leur sont assignées, trop souvent ils s’arrêtent en chemin, et achèvent par l’imagination ce qu’ils n’ont pas le courage d’achever par l’étude.

Si la monographie offre à la science un immense avantage, elle n’offre pas un avantage moins évident à l’art historique. Chez les modernes, chacun le sait, dans le domaine de l’histoire, la science et l’art sont trop souvent séparés. Le public s’est habitué à croire qu’une science profonde ne peut se concilier avec les artifices de la narration. Or c’est une des opinions les plus fausses qui circulent aujourd’hui. La science et l’art sont faits pour se donner la main dans tous les ordres d’idées, et dans le domaine historique plus naturellement que partout ailleurs. Il y a des géomètres qui écrivent élégamment, comme Legendre, Lacroix et Poinsot. Il y a des naturalistes qui connaissent tous les artifices du style, comme Buffon et George Cuvier. Sur le terrain de l’histoire, la conciliation de l’art et de la science est encore plus facile. Cependant la plupart des écrivains qui entreprennent le récit des faits accomplis depuis longtemps accordent volontiers à l’érudition plus d’importance qu’à l’art d’écrire. Ils dédaignent les ornemens du style, comme si élégance