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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/376

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alors, et malheureusement pour elle elle a tenu sa parole en écrivant l’Histoire de ma Vie. Or, cette pensée de discourir de soi-même une fois admise, il ne restait plus qu’à savoir comment le poète se tirerait de ce piège tendu par sa vanité à son talent. Mme Sand, par une de ces audaces de sincérité et d’exactitude qui prennent parfois un autre nom, raconterait-elle sa vie tout entière sans déguisement et sans réticence ? En vraie fille et en héritière de Rousseau, irait-elle jusqu’au bout de ses confessions ? Elle ne le pouvait évidemment ; un récit circonstancié et complet de tout ce qui a pu remplir sa vie lui était interdit. À défaut de ce récit simple et nu, écrirait-elle une de ces autobiographies morales et littéraires qui sont la révélation d’une âme, d’un esprit ? Ici l’idée, en se transformant, prenait un caractère nouveau. L’auteur écrivait les mémoires de son intelligence, et retraçait l’histoire de ses livres en montrant comment l’inspiration littéraire jaillit du foyer de la vie intérieure. De telles œuvres, d’une analyse délicate et profonde, sont souvent éloquentes et toujours instructives. Par un singulier renversement d’idées. Mme Sand n’a nullement fait ce qui eût été possible, et elle s’est jetée dans la voie la plus scabreuse, celle des révélations intimes et personnelles, et comme elle ne pouvait tout dire, elle a fini par substituer à ce qu’elle devait passer sous silence mille puérilités, mille détails indifférens ou vulgaires. Elle n’a point écrit des mémoires, elle a fait comme un virtuose supérieur qui vit d’un vieux succès et qui se donne toute liberté ; elle s’est mise à improviser tous les matins, devant le public, sur les différentes circonstances de sa vie qui revenaient successivement à son esprit, en remontant jusqu’à son aïeul le maréchal de Saxe.

L’aventure ne fut guère amusante pendant deux ans ; au huitième volume, on touchait à peine à la naissance de l’auteur, et on avait tourné la dernière page sans en savoir beaucoup plus. Comment d’ailleurs Mme Sand eût-elle écrit ses mémoires? Elle ne se souvient pas, elle a au plus haut degré le don merveilleux de l’oubli. Mme Sand ne sait pas même où ont paru quelques-uns de ses plus charmans ouvrages, Lavinia, la Marquise; elle attribue aux hommes ce qu’ils n’ont jamais dit, ce qu’ils n’ont jamais fait. Dans ce livre frivole, il y a un fait plus grave, une dissonance étrange et permanente qui ne naît point sans doute d’une absence de sincérité actuelle, mais qui laisse voir ce qu’il y a de mobilité dans cet esprit, et qui finit par ôter tout accent de vérité à de tels récits. L’auteur parle de son enfance, de son passé, des choses et des hommes avec ses impressions du moment. On pourrait presque dire qu’à quelques mois d’intervalle, dans le travail successif de cette prolixe improvisation, les mêmes faits apparaissent sous un aspect tout différent, parce que le point de vue personnel de l’écrivain a changé. L’Histoire de ma Vie repose