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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/49

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tège de nos préjugés, de nos infirmités, de nos passions; nous ramenons les choses à notre mesure, nous les façonnons à notre image. Il arrive même que notre part d’erreur et d’ignorance est plus grande que la portion de vérité qui nous éclaire, comme par un phénomène inverse un esprit engagé dans l’erreur peut montrer une telle justesse et une sagacité telle que le faux reste pour ainsi dire cantonné dans les principes, et que la vérité se retrouve dans les détails et brille dans les accessoires.

C’est là ce qui rend possible la critique de toutes les écoles et de toutes les sectes. C’est ce qui permet en même temps d’admirer de grands esprits qui se trompent, et de ne ménager rien de ce qu’ils soutiennent, car le talent et la doctrine ne sont pas solidaires. La perfection est dans la vérité, elle n’est pas dans la raison humaine. Et de même qu’une bonne nature est quelquefois égarée au mal par l’abus de ses qualités, on peut embrasser le bien par de mauvais motifs, le chercher par une mauvaise voie, l’appuyer de mauvaises raisons, et dans ce cas il est permis de condamner l’avocat sans condamner la cause. Les critiques ne sont pas comme les soldats, qui ne reconnaissent l’ennemi qu’à son drapeau.

Rien n’est plus commun, par exemple, que d’entendre de détestables apologies de la liberté politique. Nous avons été condamnés à lutter non-seulement contre des passions coupables, c’est la misère de notre nature, mais (misère peut-être plus triste encore) contre des argumentations ou des théories fausses qu’on associait au sentiment louable en soi des droits de l’espèce humaine. Nous avons vu des philosophies qui, soit par leur esprit général, soit par leurs conclusions dernières, paraissaient élevées et pures tomber dans de tels écarts de méthode ou de raisonnement, qu’il y avait en elles plus à rejeter qu’à prendre, et qu’elles nuisaient par leur exemple plus qu’elles ne servaient par leur tendance. Lorsqu’à la suite des épreuves que l’anarchie inflige parfois aux nations civilisées, les imaginations, encore plus troublées que les intérêts, n’aspirent plus qu’à la sécurité, l’ordre, ce besoin constant des sociétés, peut être cherché par tous moyens, célébré par tous motifs, et les grossiers sophismes de la convoitise ou de la peur se donner pour de nobles doctrines conservatrices. Enfin, lorsque de téméraires hypothèses, des doutes raisonneurs, ou, ce qui est pire, l’incrédulité des passions, ont réussi à ébranler les bases mêmes de la religion en attaquant toutes ses formes, c’est un service à rendre à la vérité et à l’humanité que de prendre en main des intérêts sacrés, et de replacer dans leur jour, de rasseoir sur leurs fondemens les dogmes qui par la foi consacrent la morale. Mais la religion aussi peut être mal défendue, le préjugé peut s’enrôler à son service; l’ignorance ou le zèle peuvent lui prê-