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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/491

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qu’elle les enrichit. Ainsi la contrebande se joue avec effronterie d’une des menaces les plus solennelles de l’autorité souveraine, et pousse les peuples à l’abrutissement, dont la loi a voulu les préserver. Ajoutons que, par une juste rétribution de la Providence, cette prodigieuse consommation de l’opium devient aujourd’hui, par l’exportation des métaux précieux qu’elle occasionne, une des causes de la ruine financière de l’empire.

Tout d’ailleurs contribue à cette ruine. Ainsi les monopoles que le gouvernement s’est réservés ne lui rendent plus qu’un revenu insignifiant. S’il en est un dont les produits semblent ne devoir jamais se tarir, c’est assurément celui du sel, denrée de première nécessité et toujours assurée d’un bon débit au milieu des innombrables populations de la Chine. Eh bien ! ce monopole même est un de ceux que l’on ne sait plus à qui affermer. Il a fallu que l’empereur imposât d’office la ferme du sel à des négocians enrichis dont il convoitait la dépouille, à peu près comme en d’autres pays on concède à une compagnie de chemin de fer qui prospère la faveur d’un embranchement onéreux. Or ce don n’est rien moins que la ruine du malheureux négociant à qui on l’inflige : en même temps qu’il doit satisfaire aux exigences impitoyables du fisc, il doit solder les mandarins locaux chargés de la police, sans le secours desquels il n’y a point de monopole, et ceux-ci, après l’avoir rançonné, reçoivent d’une autre main pour le laisser dépouiller. Entre mille preuves de la pénurie du trésor impérial, en apporterai-je une autre, et des plus frappantes? On l’a vu, en ces derniers temps, hors d’état de fournir les fonds nécessaires aux travaux publics de première nécessité. Le Grand-Canal était à sec. Le Fleuve-Jaune, le fléau de la Chine, cette Durance gigantesque, avait rompu ses digues et inondé d’immenses étendues de pays riche et cultivé. Rien de tout cela ne se réparait, et pourtant les populations mécontentes étaient bien autrement surchargées d’impôts qu’à l’époque, encore peu éloignée, où les travaux hydrauliques, juste sujet d’orgueil pour la Chine, s’exécutaient partout avec tant de soin, d’intelligence et de splendeur.

C’est que depuis que les mandarins paient deniers comptans leurs emplois, ils se remboursent en faisant entrer dans les coffres de l’empire le moins qu’ils peuvent de l’argent qu’ils recueillent. Tout leur est bon pour s’enrichir. La justice surtout est entre leurs mains une source d’odieux profits. Aussi l’autorité est-elle partout avilie, et les fonctions publiques, auxquelles s’attachait naguère une considération si haute, ne sont-elles plus que l’objet du mépris et de la haine. Naguère les mandarins étaient l’élite de la nation chinoise; portés au rang qu’ils occupaient par un concours libre et public, entourés de l’estime générale et d’une sorte de prestige populaire, ils n’a-