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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/559

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mettra aux mains du souverain le sceptre que celui-ci avait laissé tomber dans un moment de défaillance.

L’aîné des Pândavas régna donc enfin. Assisté de ses quatre frères, il fit fleurir la justice, et les ascètes purent pratiquer leurs austérités sans craindre d’être troublés par les ogres. Le vieux roi Dhritarâchtra, qui avait frémi un instant à la pensée de vivre sous la dépendance de ses neveux, meurtriers de ses propres fils, fut traité par les princes avec de grands égards. Durant les quinze années qu’il survécut au désastre des siens, les Pândavas le consultèrent en toute occasion et lui rendirent les mêmes honneurs que s’il eût été leur père ; ils affectaient même de ne régner qu’en son nom. Enfin « ce vieux roi aveugle, chef de la famille des Kourous, ne rencontrait rien sur la terre qui pût lui causer de la peine[1]. » Accablé par l’âge, il goûte encore quelques momens de repos, sinon de joie, et son cœur, si cruellement éprouvé, reçoit quelque consolation de ces traitemens affectueux. Dans un moment d’attendrissement, le vieillard s’est trouvé mal, et Youdhichthira l’a rappelé à la vie en lui jetant de l’eau froide sur le visage ; alors il laisse échapper ces paroles paternelles, toutes pleines d’émotion :

« Touche-moi encore avec ta main ; jette tes bras autour de mon cou, ô fils de Pândou ! Il me semble que ton contact me rend la vie !… — Et ton front, je veux le sentir, ô roi des hommes ! De mes deux mains tâter tout ton corps, telle est ma plus grande joie[2] ! »

Ce sont là les adieux du vieux roi, qui sent sa fin prochaine. Dhritarâchtra a exprimé le désir d’aller terminer ses jours dans la forêt avec ses femmes, afin de se préparer à monter au ciel. Il emmène avec lui la veuve de son frère Pândou et son autre frère Vidoura. Le fidèle Sandjaya, son écuyer, qui lui avait raconté tous les malheurs de sa famille, l’accompagne aussi dans son exil volontaire. Les voilà qui vivent tous dans la contemplation, oubliant la terre de plus en plus, se purifiant des fautes passées par le feu des austérités. Les ermitages étaient comme des couvens où les rois et les reines, après s’être dépouillés des grandeurs du siècle, venaient se recueillir et prier. Peu d’années après la retraite de ces illustres personnages, qui étaient plus que centenaires, un incendie éclata dans la forêt. Cet incendie, se propageant au loin, devint un vaste bûcher dans lequel furent consumées les dépouilles mortelles de Dhritarâchthra et des deux femmes. Vidoura et Sandjaya abandonnèrent les lieux que le feu avait ravagés et se dirigèrent vers l’Himalaya, où ils se cachèrent au milieu des rochers, loin du regard des hommes, fuyant la

  1. Chant de l’Açramavasikaparva, lecture 2, vers 43.
  2. Ibid., lecture 3, vers 129 et suivans.