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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/595

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tie en une véritable place d’armes affectée aux campemens, aux approvisionnemens de toute espèce, au matériel des hôpitaux et des ambulances. Chaque division portait sur le front de bandière un guidon particulier, elle avait ses cantonnemens séparés. A mesure que de nouveaux régimens débarquaient, ils allaient dresser leurs tentes sur les ondulations d’un sol élevé, dont la salubrité, reconnue à l’avance, était sans cesse entretenue par la brise de mer. Le rôle actif du corps médical de l’armée commença dès-lors par la mise en vigueur de quelques mesures sanitaires qu’il fallut appliquer à la ville même de Gallipoli. On eut à lutter contre l’insouciance traditionnelle des musulmans avant d’obtenir l’enlèvement des immondices entassées. Dans les villes de l’Orient, ce soin ne regarde que le soleil et le vent. Le soleil se charge de calciner les immondices et de les réduire en poussière; puis vient le vent qui se charge de les emporter. L’horrible puanteur de ces dépôts permanens semble une provocation continuelle adressée aux épidémies.

Pendant que les brigades s’organisaient, les vieux soldats de l’Algérie à la figure mâle et bronzée, aux allures martiales, initiaient leurs camarades, pour qui la guerre était chose nouvelle, aux habitudes et à la vie des camps. Ils leur apprenaient, selon leur expression pittoresque, à savoir s’outiller, c’est-à-dire se suffire à eux-mêmes, à être prévoyans, à pratiquer l’art de se prémunir contre bien des privations inévitables en campagne et de conserver sa santé. De son côté, le général Canrobert ne laissait pas ses troupes inactives. Il les préparait aux fatigues de la guerre par des travaux de terrassement et par le percement d’une large et immense tranchée qui devait fermer les camps et créer une véritable place de guerre. Avec le concours de l’armée anglaise, on barrait la presqu’île de Gallipoli par un retranchement qui s’étendait du golfe de Saros à la mer de Marmara. Ces travaux devaient fermer aux Russes le chemin des Dardanelles, qu’ils s’étaient ouvert en 1829. Utiles au point de vue militaire, ils donnèrent, au point de vue hygiénique, les plus heureux résultats. Le nombre des malades à Gallipoli fut peu considérable. La plupart n’avaient que de légères indispositions et n’étaient retenus que peu de jours aux ambulances. Un hôpital de 300 lits, créé à un kilomètre de la ville, remplaça bientôt quelques maisons de Gallipoli provisoirement occupées par nos malades, et suffit amplement aux premières nécessités. C’est au mois de mai 1854 que fut installé sous baraques ce premier établissement hospitalier de l’armée française. Placé sur la route de la flotte, sur le littoral des Dardanelles, dans un lieu où les chalands abordaient aisément, c’est après le départ de l’armée qu’il a rendu les plus grands services. Là s’arrêtaient ceux des malades ramenés en France de Crimée ou de