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Il n’y a pas dans l’histoire du moyen âge une plus grande, une plus tragique figure que celle d’Héraclius. La première partie de sa vie ressemble à un poème héroïque, la dernière est une série d’humiliations et de catastrophes. Voyez-le monter sur le trône : Héraclius est un général romain qui commande en Afrique; il est brave, pieux, aimé de tous, et tandis que le tyran Phocas, assassin de l’empereur Maurice, opprime les peuples et avilit le nom romain, on s’accoutume, d’un bout de l’empire à l’autre, à considérer le jeune commandant de l’Egypte comme un libérateur. Un jour arrive enfin où la conscience publique le charge de sa vengeance. Jamais l’histoire n’a vu pareil spectacle. Ce n’est pas un conspirateur qui se cache, le monde conspire avec Héraclius et lui donne mission d’immoler le tyran. Il part des côtes d’Afrique avec quelques vaisseaux et marche sur Constantinople. Les images de la Vierge, clouées au haut des mâts, protègent l’expédition du justicier. Partout, dans les ports, sur les rivages, des acclamations retentissent quand on voit apparaître sa flotte; les peuples le saluent, les prêtres le bénissent; un évêque détache des autels un diadème de la mère du Christ et va l’en couronner sur son navire. Il arrive, il entre à Constantinople; Phocas expie ses forfaits, et le sacrificateur, sa mission accomplie, monte sur le trône de Constantin. Ce n’était rien cependant que d’immoler Phocas, il fallait relever l’empire. Le trésor était vide, l’armée n’existait plus, les Perses ravageaient les villes romaines d’Asie-Mineure, et les Juifs, exaspérés par les persécutions, livraient la Palestine au roi de Perse Chosroès. En présence de tant de périls, les provinces européennes s’endormaient dans un lâche égoïsme, quand une catastrophe terrible vint réveiller Constantinople et permettre à Héraclius d’accomplir ses desseins. Un allié de Chosroès, celui que les Perses appelaient Schaharbarz ou le sanglier royal, se jette sur la Palestine avec une armée formidable; il met tout à feu et à sang, il pille, il brûle les cités et emmène des milliers de captifs qui vont dédéfricher, sous le fouet des Persans, les marais de l’Euphrate et du Tigre. On se croirait revenu aux plus terribles époques de l’histoire racontée par la Bible, aux invasions de Sennachérib et de Nabuchodonosor; seulement ce ne sont plus les Juifs, ce sont des chrétiens que frappe ce Sennachérib. Les Juifs marchent derrière l’armée persane, achetant à prix d’or les captifs, surtout les patriciens, les magistrats, les prêtres, les religieuses, pour les sacrifier à Jéhovah. Quatre-vingt-dix mille chrétiens périrent sous leurs couteaux. Ce n’est pas tout : Jérusalem est prise, les reliques de la passion du Christ sont dispersées, le saint-sépulcre est la proie des flammes. L’église de la Résurrection, bâtie par Constantin sur le Calvaire, conservait précieusement la croix de bois qui a sauvé le monde; l’église est profanée, et la croix emportée dans le fond de la Perse.