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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/704

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au clair de lune, fixait ses jaunes yeux sur lui, coassait, et s’enfonçait dans la vase. Et pendant ce temps-là mille sifflemens se répondaient sur toute l’étendue des marécages. Et le héron, le Shuh-shuh-gah, au loin, debout sur la rive fertile en roseaux, annonçait l’arrivée du héros. »

Cependant le magicien défié se présente, et un dialogue s’engage selon l’habitude des héros indiens et dans le style pour ainsi dire aphoristique que les indigènes de l’Amérique aiment à donner à leurs discours : « Retire-toi, lâche, retire-toi parmi les femmes, retourne vers Nokomis, cœur tremblant; je te tuerai si tu restes, comme jadis j’ai tué son père. » Mais Hiawatha l’intrépide répondit : « Les gros mots ne frappent pas aussi bien que des massues de guerre, les paroles insolentes ne sifflent pas comme la corde de l’arc, les vanteries ne sont pas aussi aiguës que les flèches, les actions valent mieux que les paroles, les actes sont plus puissans que les bravades. » Le combat dure tout un jour d’été; Hiawatha use ses flèches et sa massue contre les vêtemens féeriques du magicien. Enfin le soir, lorsqu’il s’incline blessé contre un arbre, prêt à perdre tout espoir, le pic, qui dans tout pays est un oiseau plein d’expérience et de bons conseils, murmure à son oreille : « Ajuste tes flèches à sa tête, frappe à cette touffe de cheveux; c’est là seulement qu’il peut être blessé. » Le magicien est vaincu, et Hiawatha s’empare de ses richesses et de ses armes magiques. En reconnaissance du service que lui avait rendu le pic, il frotte du sang de sa victime la petite tête de l’oiseau, ce qui explique pourquoi depuis cette époque le pic d’Amérique porte sur la tête une touffe de plumes rouges. Tel fut le plus grand des exploits guerriers d’Hiawatha. Depuis la mort du magicien, le peuple ne souffrit plus autant de la peste. Il est impossible de donner une tournure plus poétique au service de pure utilité rendu par le héros, à cette question d’économie agricole qui est connue sous le nom de question du dessèchement des marais.

Tous les exploits d’Hiawatha sont, pour ainsi dire, d’un ordre économique. Il était écrit en vérité que dès l’origine cette Amérique du Nord serait le théâtre des triomphes de l’économie politique. Toutes ses actions ont un caractère utile, et tous ses combats, même les plus acharnés, un but pacifique. Il est pieux, il jeûne et il prie; mais ce n’est point par un désir de perfection idéale, ce n’est point par ambition des qualités qu’il n’a pas : c’est pour le profit de son peuple, pour le profit des nations. Tel qu’il est, Hiawatha est bien le héros précurseur des hommes au visage pâle dont il prédit l’arrivée à la fin du poème, qui devaient fonder la civilisation pacifique de l’Amérique du Nord, pionniers, fermiers et marchands. Le Grand-Esprit le contemple avec d’autant plus de tendresse qu’il est plus