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rant de mes travaux, si toutefois la fin de la solennité doit clore aussi ces vacances très occupées de toute une ville. »

Le temps des affaires revint, et Sidoine fit ses visites. Il n’eut qu’à se montrer pour retrouver de chauds amis ou de riches patrons qui tinrent à honneur de le loger sous leur toit; il choisit entre toutes la maison d’un ancien préfet de la ville, nommé Paulus, homme aussi savant que respectable. C’était une bonne fortune pour Paulus d’avoir sous sa main le poète illustre dont il apercevait chaque jour la statue sur le forum de Trajan, et dont il enviait sans doute la facile abondance; c’était un égal bonheur pour le Gaulois de pouvoir s’entretenir avec son hôte de ses occupations favorites comme avec un juge compétent, car Paulus lui-même était poète, ou du moins s’efforçait de l’être. On était alors dans cette période d’extrême décadence où la littérature, après avoir passé de l’inspiration à l’art, est descendue de l’art au métier. Une nouvelle rhétorique se crée; la subtilité des pensées ne suffit plus; il faut la recherche du style, les oppositions de mots, les contournemens savamment agencés, les consonnances, les expressions techniques, l’obscurité enfin; la littérature n’est plus que le jargon de quelques adeptes. Sidoine Apollinaire était expert en ce genre, mais il trouva son maître dans Paulus. L’un fit payer, l’autre paya son hospitalité par un échange de jeux d’esprit, d’épigrammes, de vers et de prose sur tous les sujets. « Mon hôte, disait Sidoine dans une de ses lettres à son confident Héronius, est bien le premier homme du monde en tout genre de savoir et d’art. Bon Dieu, comme il sait glisser une énigme dans une proposition, une figure de rhétorique dans un lieu commun, une coupe savante dans un vers! Quel parfait mécanicien, et comme il fait œuvre de ses doigts[1]! » Cet habile homme était en même temps un fort bon homme, qui se prit de goût pour Sidoine, et s’attacha à rendre fructueux, pour l’Auvergne et pour lui, le séjour qu’il faisait dans la ville éternelle. L’empereur, plongé dans les préoccupations de son gouvernement, n’était plus abordable, et, suivant toute apparence, il avait oublié l’affaire des Arvernes et le député mandé par ses ordres à Ravenne. Paulus chercha une combinaison qui pût lui rappeler l’un et l’autre, et obtenir à Sidoine une audience impériale ardemment souhaitée par celui-ci. Il en parla à quelques familiers du palais d’Anthémius, qui étaient aussi ses amis, et il s’organisa autour du Gaulois une petite conspiration innocente, dans laquelle en définitive chacun devait trouver son compte, l’empereur comme le poète, et les protecteurs comme le protégé.

  1. « Bone Deus, quæ ille propositionibus ænigmata, sententiis schemata, versibus commata, digitis mechanemata facit! » Sidon. Apoll., Epist. I, 9.