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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/805

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trouve pleine de charme et de grâce, quand elle veut bien se contenir un peu; comme elle a des regards que l’on se rappelle pour éprouver de douces chaleurs, et des mots que l’on se répète pour sentir de tendres frissons; comme elle est la vraie source de toutes les émotions exquises; comme la Malibran, après tout, n’aurait jamais chanté sans elle cette romance du Saule, qui aujourd’hui vous tire encore vos meilleures larmes; comme elle est enfin l’ennemie la plus acharnée et la plus intelligente de l’ennui, on supplie la passion de rester, on la garde, sans songer à la captivité où on la retient, ni aux tortures qu’on lui impose.

Mme de Cheffai ne pouvait point se passer de Polesvoï, qui de son côté ne comprenait rien aux heures sur lesquelles ne rayonnait pas le regard adoré de sa maîtresse. Quand, après des luttes incroyables, des travaux gigantesques, pour prévenir telle visite, abréger telle autre, arracher enfin aux indiscrets, aux importuns, aux ennuyeux, les précieux lambeaux de leur vie, ils se trouvaient seuls, c’était une première explosion de bonheur dont il semblait que leurs cœurs allaient éclater. Par malheur, le moment arrivait bien vite où le grain, ce terrible grain qui est toujours dans le ciel des amoureux, se faisait nuage, puis tempête. Alors, pauvres oiseaux effarouchés, les joyeux élans, les douces saillies, s’enfuyaient loin d’eux à tire-d’aile, les tendres pensées s’arrêtaient tremblantes sur leurs lèvres; tout se taisait pour laisser passer l’ouragan dans ces régions tout à l’heure si vivantes, et maintenant si désolées. C’était de la même manière que s’élevaient d’habitude ces tourmentes : — Pourquoi êtes-vous si peu à moi? disait Polesvoï. — Ma mère, répondait-elle, trouve déjà que je suis trop à vous. — Ah! s’écriait le poète, votre mère vous a élevée dans sa détestable religion : vous avez son amour et son respect pour le monde.

Attaquée avec cette franchise, Anne se défendait alors avec une suprême énergie. — Dans votre affection égoïste, disait-elle, vous voudriez m’enlever à tout ce qui m’entoure, même à ces amis que...

Là s’élevaient les interruptions de Prométhée. Ces insupportables surveillans qui, sous le nom d’amis, s’installent auprès des femmes, faisant une guerre sans merci à tout ce qui menace leur domination soporifique, lui causaient d’indicibles irritations. La discussion prenait bientôt ses allures les plus violentes; on y jetait ces brandons qui dans le foyer des colères répandent les plus vives clartés, c’est-à-dire les noms propres. Prométhée accusait de ses maux les Clémencin, les Plangenest, les Folbrook. Anne prenait alors intrépidement la défense des trois vieillards. Quelquefois elle en venait à dire : — Ils représentent un dévouement dont vous n’avez pas même l’intelligence. — À ce mot répondait ce cri : — Comment avez-vous