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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/833

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maine, ennemie née et acharnée de la vérité, porta la main sur le mariage, et demanda le divorce en cas de contrariété d’humeurs. Il déclara « que l’Erreur soutient la Coutume, que la Coutume accrédite l’Erreur, que les deux réunies, soutenues par le vulgaire et nombreux cortège de leurs sectateurs, accablent de leurs cris et de leur envie, sous le nom de fantaisie et d’innovation, les découvertes du raisonnement libre. » Il montra que « lorsqu’une vérité arrive au monde, c’est toujours à titre de bâtarde, à la honte de celui qui l’engendre, jusqu’à ce que le Temps, qui n’est point le père, mais l’accoucheur de la Connaissance, déclare l’enfant légitime et verse sur sa tête le sel et l’eau. » Il tint ferme par trois ou quatre écrits contre le débordement des injures et des anathèmes, et au même moment osa plus encore. Il attaqua devant le parlement la censure, œuvre du parlement[1] ; il parla en homme qu’on blesse et qu’on opprime, pour qui l’interdiction publique est un outrage personnel, qu’on enchaîne en enchaînant la nation. Il ne veut point que la plume d’un censeur gagé insulte de son approbation la première page de son livre. Il hait cette main ignorante et commandante, et réclame la liberté d’écrire au même titre que la liberté de penser. « Quel avantage un homme a-t-il sur un enfant à l’école, si nous n’avons échappé à la férule que pour tomber sous la baguette d’un imprimatur, si des écrits sérieux et élaborés, pareils au thème d’un petit garçon de grammaire sous son pédagogue, ne peuvent être articulés sans l’autorisation tardive et improvisée d’un censeur distrait ? Quand un homme écrit pour le public, il appelle à son aide toute sa raison et toute sa réflexion ; il cherche, il médite, il s’enquiert, ordinairement il consulte et confère avec les plus judicieux de ses amis. Tout cela achevé, il a soin de s’instruire dans son sujet aussi pleinement qu’aucun de ceux qui ont écrit avant lui. Si dans cet acte, le plus consommé de son zèle et de sa maturité, nul âge, nulle diligence, nulle preuve antérieure de capacité ne peut l’exempter de soupçon et de défiance, à moins qu’il ne porte toutes ses recherches méditées, toutes ses veilles prolongées, toute sa dépense d’huile et de labeur sous la vue hâtive d’un censeur sans loisir, peut-être de beaucoup plus jeune que lui, peut-être de beaucoup son inférieur en jugement, peut-être n’ayant jamais connu la peine d’écrire un livre, — en sorte que, s’il n’est pas repoussé ou négligé, il doive paraître à l’impression, comme un novice sous son précepteur, avec la main de son censeur sur le dos de son titre, comme preuve et caution qu’il n’est pas un idiot ou un corrupteur, — ce ne peut être qu’un déshonneur et une dégradation pour l’auteur, pour le livre, pour les privilèges et la dignité de la science. »

  1. Dans son Areopagitica.