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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/898

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attentive se presse bientôt autour de lui, et lorsqu’on connaît le motif de cette convocation, chacun veut courir à la délivrance de Prascovia Ivanovna.


« Quelques instans après, trois rospouskis étaient attelés chacun de trois chevaux vigoureux pris dans les écuries du seigneur et montés par douze hommes armés, choisis parmi les plus robustes et les plus résolus des domestiques et des paysans, sous la conduite de Stépane Mikhaïlovitch. Ces hommes avaient pour armes des fusils, des sabres, des fourches, des épieux et des fourches en fer; les trois fuyards se joignirent à eux, lancèrent leurs chevaux et partirent pour Parachino. Dans la soirée, deux autres rospouskis, attelés des meilleurs chevaux du village, s’élancèrent dans la même direction; ils étaient montés par une dizaine d’hommes qui voulaient assister leur maître. Le lendemain au soir, les premiers se trouvaient déjà à sept verstes de Parachino; ils s’arrêtèrent pour faire manger leurs chevaux et se remirent en route. A peine les premières lueurs du jour commençaient-elles à poindre, qu’ils entrèrent à toute bride dans la cour qui précédait la maison du seigneur de Parachino, et s’arrêtèrent à la porte de la cave, située dans l’aile que celui-ci occupait. Stépane Mikhaïlovitch courut à la porte de la cave et se mit à y frapper à grands coups de poings. — Qui est là? demanda une femme dont la voix se faisait à peine entendre. Mon grand-père reconnut la voix de Prascovia Ivanovna : elle était encore en vie. Stépane Mikhaïlovitch se signa en pleurant de joie. — Dieu soit loué! c’est moi, ton cousin Stépane Mikhaïlovitch; tranquillise-toi. — Puis il donna ordre au cocher, au laquais et au vieux domestique de Prascovia Ivanovna d’aller atteler la calèche qui l’avait amenée. Lorsqu’ils furent partis, il plaça six hommes armés à l’entrée de l’escalier qui conduisait à la cave, et se mit lui-même avec le reste de sa troupe à ébranler la porte à coups de haches et de pioches. Quelques instans après, la porte céda; Stépane Mikhaïlovitch emporta dans ses bras Prascovia Ivanovna, il la déposa sur un des rospouskis avec sa fidèle femme de chambre, s’assit à leurs côtés, et sortit lentement de la cour avec tous ses gens. Le soleil venait de se lever, et lorsqu’ils passèrent devant l’église, il éclairait la croix devant laquelle Prascovia Ivanovna s’était agenouillée trois jours auparavant... Elle la salua de nouveau pour remercier le ciel de sa délivrance. La calèche les rejoignit à peu de distance du village; Stépane Mikhaïlovitch y déposa Prascovia Ivanovna et la ramena chez lui. »


Lorsque les habitans du village et les domestiques eurent appris cet enlèvement, ils crurent que leurs maux allaient avoir une fin. On s’attendait à voir entrer à tout moment dans le village le stanovoï suivi du tribunal criminel; mais il n’en fut rien : Mikhaïl Maksimovitch put continuer sa vie de désordres. Il redoubla même ses excès et recommença à torturer tous ses domestiques avec plus de fureur que jamais, y compris le fidèle laquais qui l’avait instruit de l’arrivée et du départ de sa femme : pour s’excuser, il disait qu’on l’avait trahi.

Comment finit cette tragédie domestique? Mikhaïl Maksimovitch