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jeunes mariés viennent faire un court séjour à Aksakova. Nous n’insisterons pas sur les cérémonies du mariage, minutieusement décrites par M. Aksakof. Ce qu’il importe de remarquer, c’est la lutte sourde qui s’engage entre la famille du seigneur d’Aksakova et la femme d’Alexis, c’est-à-dire entre la vieille Russie et la nouvelle, entre l’élégante éducation de la ville et les rustiques coutumes de la campagne. Ce petit tableau forme sans contredit la partie la plus intéressante du fragment consacré par M. Aksakof à son père :


« La nouvelle de la prochaine arrivée des jeunes mariés causa une grande rumeur dans la paisible habitation de nos campagnards. Il y régnait une simplicité poussée même un peu trop loin. On s’empressa de changer de vêtemens et de donner à toute la maison un air de fête. La mariée était une citadine aux manières élégantes, et, quoique sans fortune, habituée à vivre en grande dame : les jeunes membres de la famille devaient craindre qu’elle ne les tournât en ridicule. Il n’y avait point de chambre vacante dans la maison, et Tanioucha fut obligée de quitter la sienne, qui donnait sur le jardin. On découvrait de ses fenêtres les eaux limpides du Bougourouslane, dont les rives bordées de buissons étaient animées par le chant mélodieux des rossignols. Tanioucha alla s’établir d’assez mauvaise grâce dans la petite salle qui précédait le bain. C’était le seul endroit qui restât libre ; les deux sœurs mariées de Tanioucha occupèrent chacune une chambre dans la maison, et leurs maris logèrent dans un hangar destiné au foin. La veille du jour qui avait été fixé pour l’arrivée des époux, on apporta dans la maison le lit et les épais rideaux qui leur étaient destinés; cet envoi était accompagné d’un homme chargé de tout disposer. La chambre de Tanioucha fut complètement métamorphosée en quelques heures. Stépane Mikhaïlovitch vint l’examiner et en fut très satisfait; les femmes au contraire se mordaient les lèvres de dépit. Sur ces entrefaites arriva un courrier; il annonça que les jeunes mariés allaient arriver dans quelques heures; ils s’étaient arrêtés pour changer de costume dans le village de Noïkino, situé à huit verstes d’Aksakova et peuplé de Mordvins. Cette nouvelle mit toute la maison en mouvement. Le vieillard avait envoyé dès le matin prévenir le prêtre; mais il ne s’était pas encore rendu à l’appel, et on expédia un homme à cheval. Le village de Noïkino présentait un spectacle non moins animé. Comme les mariés suivaient un chemin de traverse, ils s’étaient fait précéder d’un courrier chargé de leur commander des chevaux dans les villages. Les habitans de Noïkino avaient connu Alexis Stépanovitch encore enfant, et professaient pour son vieux père un véritable culte. Lorsque le jeune couple entra dans l’isba que l’on avait préparée à cet effet, toute la population du village, qui comptait six cents habitans, y était réunie. Jamais Sofia Nikolaïevna n’avait visité cette contrée, et elle fut émerveillée des costumes que portaient les robustes filles dont elle était entourée. Les paroles simples et rudes qui s’élevaient de tous côtés dans la foule lorsqu’on l’aperçut touchèrent profondément son mari. C’étaient des louanges et des souhaits de prospérité qu’on lui adressait ainsi dans un mauvais russe : « Aï! aï! disait l’une, quelle femme Dieu t’a donnée! — Aï! aï! elle est belle, ajoutait une autre, et notre père