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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/932

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des effets se manifestent au milieu des plus éblouissantes splendeurs de la poésie lyrique, et se mêlent avec le sanglot de la passion au souffle panthéiste qu’exhale la nature, dont il évoque les voix mystérieuses. Comme Goethe dans son Faust, comme Byron dans Manfred et Chateaubriand dans René, Beethoven est l’écho de son temps ; il en a le trouble et la grandeur, il en possède l’énergie et les infirmités. L’effort est partout sensible dans son œuvre, bien moins complexe que celle de Mozart, puisque Beethoven n’a complètement réussi ni dans le genre dramatique, ni dans l’oratorio et la musique religieuse. Il violente la langue pour lui faire dire ce qu’il veut, et ne s’inquiète ni des lois essentielles de l’harmonie, ni de la proportion des parties qui doivent concourir à l’effet de l’ensemble ; mais il atteint le but, et, comme un titan révolté, il escalade son idéal en entassant Ossa sur Pélion. C’est par là que Beethoven mérite le pardon de ses fautes, et qu’on oublie les moyens qui l’ont conduit au trône solitaire où il domine en poeta sovrano. Les sonates, les concertos, les trios pour piano, violon et violoncelle, les quatuors pour instrumens à cordes, les ouvertures et les neuf symphonies, qui forment la partie originale de l’œuvre de Beethoven, renferment des beautés, contiennent des effets, et ouvrent à l’art musical des perspectives que les génies de Haydn et de Mozart n’ont point connues. Moins universel et moins exquis que Mozart, qui est la perfection même et qui parle tout naturellement la langue révélée des anges, — moins naïf, moins correct et moins créateur, dans le vrai sens du mot, que le père de la symphonie, qui à soixante-neuf ans écrivait encore un chef-d’œuvre plein de jeunesse que nous avons entendu récemment au Conservatoire, les Saisons, où tous les compositeurs modernes ont puisé depuis cinquante ans, — Beethoven dépasse ses deux immortels prédécesseurs par la sublimité de l’inspiration lyrique, par le pittoresque de l’instrumentation, par le charme irrésistible d’une fantaisie puissante dont les mirages s’entremêlent au pathétique de la passion. C’est ce caractère dramatique qu’on trouve dans les compositions instrumentales de Beethoven, qui le distingue d’Haydn et de Mozart, et qui rattache ce merveilleux génie au XIXe siècle.

Dans un passage des Mémoires d’Outre-Tombe, Chateaubriand, parlant de Napoléon et de l’influence qu’a eue son génie sur le caractère de la nation française, a dit en propres termes : « Sa fortune inouïe a laissé à l’outrecuidance de chaque ambition l’espoir d’arriver où il n’était point parvenu. » Ce n’est point forcer l’analogie des choses que d’appliquer le sens de ces paroles aux prétendus successeurs de Beethoven, à cette tourbe de détestables musiciens qui a envahi l’Allemagne, et qui a pris à tâche d’exagérer les défauts de l’auteur immortel de la neuvième Symphonie et des six derniers quatuors. Hâtons-nous cependant de conclure avec le grand écrivain que nous avons cité : « tel est l’embarras que cause à l’écrivain impartial une éclatante renommée, il l’écarté autant qu’il peut, afin de mettre le vrai à nu ; mais la gloire revient comme une vapeur radieuse et couvre à l’instant le tableau. »

Le livre de M. Oulibichef sera lu avec intérêt. Il renferme d’excellentes observations qui, sans être bien nouvelles, ont le mérite de ramener les esprits à des vérités éternelles que le plus beau génie du monde ne peut transgresser impunément. Beethoven est grand malgré ses fautes et malgré la