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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/946

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pour ainsi dire, un être moral ayant une opinion, des intérêts collectifs, et se faisant représenter par le député qu’il jugeait le plus propre à défendre cette opinion et ces intérêts. Le corps électoral n’était ni assez nombreux, ni assez disséminé pour qu’une action commune devînt impossible. — Il n’en est plus tout à fait de même aujourd’hui, si nous ne nous trompons. L’être moral disparaît, une circonscription électorale est, qu’on nous passe le terme, un collège anonyme, un mode tout abstrait de répartition dont l’unique raison d’être est de grouper les suffrages, indépendamment de toute affinité locale ou même administrative. Il y a des circonscriptions qui comprennent des localités appartenant à des arrondissemens différens, quelquefois des villes rivales. Les uns diront que c’est une nécessité pour organiser le suffrage universel proportionnellement au nombre actuel des députés ; les autres diront que c’est un bienfait d’avoir brisé les agrégations anciennes pour aller droit à la masse du pays à travers des démarcations plus fictives que réelles. Ce sera ce qu’on voudra, comme aussi on ne méconnaîtra pas sans doute que ce ne soit une cause de faiblesse pour les candidatures individuelles et une force pour le gouvernement, qui est seul en mesure de se trouver présent sur tous les points à la fois, de se constituer le médiateur naturel entre ces volontés, ces intérêts et ces suffrages dispersés. Que voulons-nous dire simplement ? C’est que tout se combine pour que ce vote, acte toujours sérieux d’ailleurs pour un pays à qui on demande d’élire ses représentans, apparaisse aujourd’hui débarrassé de ces perspectives de lutte qui pourraient l’animer, de ces chances, de ces péripéties, qui pourraient le rendre incertain. Nous constatons des faits, rien de plus. Il est évident, ce nous semble, que si toutes les opinions sont rigoureusement libres, le gouvernement seul a cette prépondérance qui s’attache à la force de sa situation, aux moyens dont il dispose, à l’organisation même du suffrage. De là les traits principaux des élections actuelles : tranquillité presque indifférente du pays, hésitations confuses des candidatures dissidentes ou indépendantes, certitude à peu près générale jusqu’ici d’un résultat favorable aux candidatures officielles.

Maintenant trouve-t-on que le gouvernement n’ait pas assez d’avantages par sa situation, par l’influence administrative qu’il exerce, par l’organisation du suffrage universel, et qu’il soit nécessaire de lui venir en aide en ajoutant une signification particulière à une victoire vraisemblablement assez facile ? On peut seconder le gouvernement de bien des manières, sans le vouloir et sans le savoir ; on le peut notamment en faisant beaucoup de bruit pour un médiocre résultat, en dressant des plans de campagne dont on soupçonne bien un peu la faiblesse, en élevant des drapeaux qui par malheur n’ont pas conduit la France à la victoire, ni même à la prospérité, et encore moins à la liberté. Nous ne faisons point un reproche aux opinions sincères de ne point abdiquer : elles sont dans leur droit, et elles en usent comme elles l’entendent. Seulement est-il bien habile de se donner l’air de marcher à une grande bataille en convoquant la bourgeoisie et le peuple, de paraître voler au secours des principes de 1789, qui seraient menacés sans doute par d’autres que le gouvernement, de réchauffer de son mieux les plus vieilles polémiques, de battre la campagne contre des partis qui nour-