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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/116

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portent des fardeaux, bâtissent leurs huttes grossières, ou se tiennent courbées dans l’eau et sous le soleil, les hommes, nonchalamment étendus à l’ombre, les regardent faire. Ils se réservent la chasse. Ce sont eux qui s’avancent en rampant à travers les bois jusqu’à proximité du kangurou pour le frapper du javelot. Parfois ils forcent à la chasse ce même animal, ou l’attendent tapis sous des roseaux près de la source où il vient se désaltérer. Ils se réunissent aussi pour faire de grandes battues, incendient des espaces considérables, forcent les animaux à la fuite, les enferment entre deux rangées circulaires de chasseurs, et les poussent vers une rivière ou dans des précipices. C’est de même à force de ruse et de patience que ces insulaires prennent l’ému, cette bizarre autruche de l’Australie, et l’opossum, celui des marsupiaux qui a le plus longtemps étonné les Européens, animal singulier entre ceux que produit l’Australie, moins étrange cependant que l’ornithorynque. Celui-ci tient du quadrupède, de l’oiseau, du reptile et du poisson. Il a la peau couverte de poils ; par son bec et ses pieds antérieurs, qui sont palmés, il ressemble au canard ; ses pattes de derrière sont armées de fortes griffes à cinq doigts ; on ne sait encore s’il faut le classer parmi les ovipares ou les mammifères, parce que les sujets dont on s’est emparé présentaient les caractères tantôt de l’un et tantôt de l’autre genre. Il se creuse des souterrains sur le bord des rivières, et, s’il est menacé, cherche dans les eaux un refuge. C’est vers les Montagnes-Bleues, dans l’ouest de l’Australie, que l’on trouve cet animal dans la création duquel la nature semble s’être jouée de ses propres règles.

Les indigènes de l’Australie sont anthropophages ; mais le cannibalisme n’est pas chez eux une habitude et un moyen régulier d’alimentation : leurs formes chétives témoigneraient contre une telle assertion. Pour se livrer à cette abominable pratique, ils se cachent, ils la nient, et il est évident qu’elle leur fait horreur ; mais on n’en peut pas récuser l’existence. Un des hommes qui ont montré le plus de sympathie et de compassion pour cette race malheureuse, le voyageur Ed. Eyre, a dû reconnaître lui-même que c’est en mangeant de la chair humaine que les sorciers établissent au milieu des tribus leur magique influence, et il n’y a pas vingt ans, le récit de quelque épouvantable boucherie humaine venait de loin en loin épouvanter l’Australie-Heureuse.

Il est fort difficile de se faire une idée exacte des croyances de ces indigènes ; ils sont peu communicatifs sur ce point, et leurs idées ne semblent pas nettes. Parmi leurs visiteurs, les uns ont affirmé qu’ils ont des divinités et des pratiques religieuses, tandis que les autres ont nié ce fait. Il semble certain toutefois qu’ils croient à un être supérieur, cause première de toutes choses, et à une sorte d’âme ou