Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


II.

RENCONTRE


Il est, aux bords déserts du canal Mozambique,
Une lisière étroite aux pentes du rocher,
Un rivage sans nom, d’aspect morne et tragique,
Dont les vaisseaux en mer n’osent pas s’approcher.

Comme un rideau tendu, la montagne l’ombrage ;
Jusqu’au niveau de l’onde, abrupte, elle descend.
Qui s’égare par là trouve à peine un passage
Entre le mur terrible et le flot menaçant.

Nul gazon ne verdoie aux flancs du rocher fauve ;
Aucun ruisseau n’y pleut des fentes du granit.
Rien de vivant, sinon parfois un vautour chauve
Qui plane dans l’espace au-dessus de son nid.

Aux heures du reflux, quand se retire l’onde,
Le long des noirs écueils chevelus et rongés,
Peut-être aussi voit-on ramper le crabe immonde
Sur quelque ancien débris de vaisseaux naufragés.

Solitude, abandon, règne de la mort même,
Silence que l’oiseau trouble seul de ses cris :
Le céleste courroux et l’antique anathème
Comme à l’heure première y sont encore écrits !

Un jour, notre corvette arrêtée à distance,
Dans le svelte canot nous étions descendus,
Voulant toucher du pied, nous partis de la France,
Au bout d’un continent ces parages perdus.

Sur les marges du roc jetés comme une épave,
Nous y marchions pensifs, — et tour à tour notre œil
Interrogeait le mont et le flot qui le lave,
Et du ciel pâlissant les nuages en deuil.

L’ardent soleil tombait sous la montagne aride.
Quand l’Europe est assise à son foyer d’hiver,
Là-bas règne l’été, dans sa fureur torride,
Qui lézarde la roche et met en feu la mer.