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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/257

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penseront qu’il vaut mieux donner 40,000 francs à un artiste qui a de la voix et du talent que d’avoir à des conditions plus favorables le personnel que nous a laissé l’administration précédente du théâtre de l’Opéra-Comique. Quand on a fait la faute énorme d’échanger Mme Carvalho pour Mme Marie Cabel, on a le droit d’être modeste.

Il y aurait une jolie étude à faire sur les principaux ténors qui ont paru successivement sur le théâtre de l’Opéra-Comique depuis que ce genre modeste naquit un beau jour du vaudeville émancipé. On pourrait suivre toutes les phases par lesquelles a passé la comédie à ariettes et en caractériser le développement musical par la voix et le talent du principal ténor qui chantait le répertoire. On trouverait d’abord Cailleau, qui parut au théâtre presque en même temps que les opérettes de Duni, et dont la voix était presque aussi étendue que celle de Martin, s’il faut en croire Grétry, qui a composé pour lui plusieurs rôles. « L’étendue de la voix de Cailleau me surprit, dit Grétry dans ses mémoires ; il aurait pu chanter la taille et la basse, et c’est l’impression que m’a produite la voix de ce bon comédien, qui me fit composer le rôle du Huron dans un diapason trop élevé. » A côté de Cailleau s’éleva bientôt un artiste renommé, Clairval, qui a été le chanteur favori du théâtre de l’Opéra-Comique pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Doué d’un physique agréable et d’une voix charmante, comédien plein d’esprit et de sentiment, Clairval, qui a créé le rôle de Montauciel dans le Déserteur de Monsigny et celui de Blondel dans Richard Cœur de Lion, a été un comédien à la mode, un héros de toute sorte d’aventures galantes qu’on trouve consignées dans les mémoires du temps. Voici en quels termes Grétry parle de Clairval : « Zémire et Azor fut donné à Fontainebleau pendant l’automne de l’année 1777. Le succès fut extraordinaire. M. Clairval fut chargé du rôle d’Azor. Depuis plusieurs années, Cailleau avait été en possession des grands rôles. Clairval, par une complaisance rare, avait consacré ses talens à faire briller ceux de Cailleau en jouant à ses côtés des rôles presque accessoires. S’il me fut doux de lui confier avec l’aveu de Marmontel le principal rôle dans une pièce en quatre actes que le succès couronna, le charme qu’il répandit dans ce rôle nous récompensa largement… J’ai toujours cru que le physique charmant de cet acteur avait beaucoup contribué à l’illusion qu’il produisit dans ce rôle. » A Clairval, qui a prolongé sa carrière jusqu’en 1792, et qui est mort trois ans après, en 1795, a succédé dans la faveur du public de l’Opéra-Comique un artiste non moins agréable, je veux parler d’Elleviou. Elleviou, qui avait reçu une assez bonne éducation, ne possédait d’abord qu’une voix de basse d’un timbre sourd et d’une courte étendue. Ce n’est qu’après un long travail d’épuration que son organe se clarifia et se transforma en une jolie voix de ténor. Elleviou a débuté en 1790 par le rôle du déserteur, et jusqu’en 1813, époque de sa retraite, il a été le chanteur favori de Dalayrac, de Berton, de Nicolo, de Boïeldieu, unissant aux œuvres de ces délicieux compositeurs celles de Monsigny et de Grétry, qu’il mit à la mode pendant les premières années de ce siècle. D’une taille élégante, comédien plein de goût et de distinction, chanteur suffisant, Elleviou formait avec Martin un de ces rares assemblages de qualités diverses qui font époque dans l’histoire de l’Opéra-Comique.

À Elleviou, dont le talent facile et la grâce étaient en parfaite harmonie