Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/404

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de posséder des fonds de terre ne sera pas une spoliation. » Bientôt en effet disparurent les corporations, les communautés, les couvens, et leurs immenses possessions, qui s’étaient formées des démembremens successifs de la propriété individuelle, rentrèrent dans le commerce ; mais il ne vint point à la pensée de l’assemblée constituante de comprendre dans la mesure les biens des communes. Du système législatif de cette époque, il résulte que trois individualités seulement ont un véritable droit de propriété, l’état, les communes et les particuliers, et c’est aussi à l’état, aux communes et aux particuliers que resta le sol tout entier.

Dix ans plus tard, la même pensée s’introduisait dans nos codes. Au moment où on les rédigeait, quelques établissemens publics s’étaient déjà reformés ou avaient vu se relâcher pour eux la rigueur de la mesure ; des exceptions avaient été consacrées en faveur de la maladie, de la pauvreté ou du malheur, au profit du culte et de l’éducation de la jeunesse. Ainsi les hospices étaient rentrés dans une partie de leurs biens, puis les fabriques d’église et l’université. Cependant le droit de propriété des communes fut seul inscrit dans la loi civile et placé à côté de celui des citoyens et de l’état[1]. Un incident peu connu de l’ancien conseil d’état va nous permettre d’indiquer très clairement l’opinion qu’il faut avoir aujourd’hui de la propriété communale. On avait équivoqué sur la nature de cette propriété, et on demandait s’il ne convenait pas de ranger les biens des communes au nombre des objets qui sont régis par le droit public. M. Portalis, à qui étaient renvoyées toutes les affaires municipales et qui avait sur la constitution de la commune des idées si nettes, répondit : « Dans ce système, il faudrait envisager les biens communaux non plus comme une propriété particulière et patrimoniale, mais comme une portion du domaine public affectée pour l’utilité publique à un service déterminé. Cette thèse pourrait se soutenir sans doute, puisque, dans nos principes modernes, il est reconnu que les corps et établissemens publics ne possèdent pour ainsi dire que précairement, et que l’état conserve le domaine éminent et la haute main sur les propriétés qui leur sont affectées ; mais le code Napoléon, après avoir énuméré les différentes espèces de propriété publique et avoir déclaré dépendances du domaine public toutes les portions du territoire national qui ne sont pas susceptibles d’une propriété privée, ajoute que « les biens communaux sont ceux à la propriété ou au produit desquels les habitans d’une ou plusieurs communes ont un droit acquis. » Or il paraît, par cette disposition et par l’ordre dans lequel elle est placée, que les biens

  1. Article 542 du code civil.