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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/420

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presse, jamais il n’a sollicité les acclamations tumultueuses, jamais il n’a organisé d’avance les ovations et les concerts louangeurs. S’il l’eût voulu cependant, rien ne lui eût été plus facile ; mais il semble avoir pensé de tout temps qu’il fallait laisser ces manèges aux intrigans, et que cette mendicité d’éloges ne convenait qu’aux indigens de la pensée. « Que voulez-vous, Quinet a toujours eu un talent particulier pour cacher ce qu’il fait, » me disait, il y a quelque temps, un de ses plus anciens et de ses plus illustres amis, devant lequel j’exprimais la crainte que le livre charmant dont je vais parler n’eût pas tout le retentissement qu’il mérite. Et en effet cette autobiographie est comme enfouie entre deux ou trois brochures politiques de diverses dates, qui, ayant perdu de leur à-propos, ont naturellement perdu de leur intérêt, à la fin d’une réimpression assez volumineuse d’œuvres depuis longtemps connues du public. L’auteur aurait voulu enterrer cette perle, de manière à la dérober à tous les yeux, qu’il n’aurait pas mieux réussi. Nous ferons violence à la modestie de M. Quinet, et nous exposerons à la lumière cette perle si bien cachée.

L’impression que laisse ce livre est singulièrement fortifiante, et ressemble à la salubre et robuste impression que laisse un beau coucher de soleil, dans une campagne animée, aux jours chauds et actifs de l’année. Vous connaissez, n’est-il pas vrai, ces beaux soirs d’été, où tout parle à l’âme de force et de santé ? Des ombres vigoureuses s’allongent à terre et réfléchissent avec une précision de géomètre et d’artiste les objets environnans. Un soleil éclatant se couche dans un crépuscule radieux. L’air ambiant est imprégné d’une riche lumière. Les gerbes de la moisson, lentement traînées par les bœufs à l’allure majestueuse, arrivent devant la maison du laboureur comme la récompense d’une journée laborieuse. Rien dans ce tableau de mélancolique, de maladif, d’efféminé : pas de molles vapeurs, pas de lumières noyées, pas de couleurs attendrissantes ; la nature s’enveloppe de ses voiles et se couche pour s’endormir avec un mouvement de noblesse virile et de calme confiance. Telle est l’autobiographie de M. Quinet. C’est l’histoire d’une âme qui s’endort en pleine lumière, avec la certitude de passer du jour aux ténèbres sans connaître les terreurs, les inquiétudes et les lenteurs de la transition. Donc pas de vains regrets, pas de chimériques espérances, pas de puérils désirs et de fiévreuses expressions de découragement. L’écrivain ne demande pas au temps de suspendre son vol, à la mort d’arrêter sa faux ; il n’adresse pas de reproches à la vie, et ne l’accuse pas de l’avoir trompé. Il remercie la nature comme une bonne mère dont les conseils ne l’ont jamais trompé, et qui dans toutes les occasions importantes lui a envoyé