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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/424

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et nous revoyons dans le miroir de l’enfance la gracieuse miniature de l’homme mûr fatigué et enlaidi par les combats de la vie.

M. Quinet a cru devoir s’excuser d’occuper le public de lui-même, de l’éducation de son esprit et de son caractère ; les raisons qu’il a données de cette entreprise nous semblent excellentes et dignes d’être rapportées. « Je voudrais, dit-il, que tout homme qui s’est communiqué au public entreprît un travail analogue sur lui-même. De toutes ses œuvres, j’en suis convaincu, ce serait la plus utile aux autres. Quelle importance n’auraient pas pour l’éducation un certain nombre de ces simples histoires, dans lesquelles chacun montrerait avec sincérité, et s’il se peut avec ingénuité, sous quelle forme le monde s’est révélé à lui dans le paradis de ses premiers jours (et chaque homme a eu le sien), par quels côtés la création lui a apparu d’abord, pourquoi telle petite cause a produit chez lui de grands effets, comment l’histoire humaine s’est trouvée réfléchie et enveloppée dans son horizon de ver de terre ! Peut-être est-ce le seul moyen de s’élever plus tard à des conclusions qui ne soient ni imaginaires ni systématiques, car enfin qui nous apprendra ce que les choses, les hommes, la nature, la vie, ont été pour nous à l’origine, si nous ne voulons pas le dire nous-mêmes ? » Nous pensons exactement comme M. Quinet, et comme lui nous voudrions voir se multiplier ce genre tout moderne de la biographie intime qui deviendrait pour l’histoire morale de l’homme ce que le genre des mémoires est pour l’histoire politique et sociale. Le vif et fin esprit français qui a naguère excellé dans les mémoires excellerait aussi dans ce genre nouveau, qui lui serait profitable à tant d’égards. S’il cultivait ce genre avec ardeur pendant quelques générations, l’esprit français aurait quelques chances d’échapper enfin à la maladie héréditaire du style pompeux et académique, au despotisme insolent de l’emphase arrogante. Le public perdrait de son côté sa vénération traditionnelle pour ces œuvres artificielles où la maigreur de la nature et la nullité de l’esprit se dissimulent sous la pompe des mots, et tous les honnêtes gens auraient le plaisir de constater encore le décès d’une vieille superstition. Tout le monde y gagnerait, écrivains et lecteurs. Ce genre de l’autobiographie pourrait en outre remplacer avec avantage, sinon pour la multitude, au moins pour les esprits cultivés, le genre devenu si prosaïque du roman, cette forme de littérature dans laquelle l’esprit humain aujourd’hui fait entrer toutes les rognures de ses pensées, et qui nous a fait payer les quelques belles œuvres dont nous lui sommes redevables par des cargaisons effroyables de sottises corruptrices, de platitudes populacières et d’oiseuses imbécillités. On voit combien de bonnes raisons se présentent pour engager désormais nos hommes illustres à pratiquer ce nouveau genre