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faisait défaut, et ce fut nécessairement un peu long ; mais dès qu’on l’eut reçu, dès que le service put être définitivement installé, ces immenses désastres cessèrent : non qu’il n’y eût encore des incendies partiels ; mais les secours survenaient avec une telle rapidité, ils étaient dirigés avec une si intelligente énergie, que les ravages étaient en peu d’instans circonscrits aux plus étroites limites. Aujourd’hui l’organisation des pompiers de San-Francisco, qui pourrait partout être prise pour modèle, comprend treize compagnies pourvues de machines, plus trois autres compagnies, dites de l’échelle et du crochet, dont le nom indique suffisamment la périlleuse spécialité[1]. Ce corps nombreux est entièrement formé de volontaires qui non-seulement ne reçoivent aucune indemnité, mais supportent presque exclusivement les frais de ce service onéreux. Au premier cri d’alarme, les pompes arrivent ; les cloches dont elles sont munies résonnent en marchant, et avertissent chacun ; l’eau est fournie par des réservoirs souterrains placés dans les rues de distance en distance, de sorte qu’il suffit de lever une trappe et d’y introduire le tuyau de prise d’eau pour que tout fonctionne sans le moindre retard. En 1852 seulement, alors que cette organisation était déjà complète, et que, grâce à elle, la ville était rassurée sur son avenir, l’administration municipale donna signe de vie par l’édiction de règlemens préventifs qu’elle eût été, il est vrai, fort embarrassée de faire observer plus tôt.

Les pompiers ne se bornent pas à rivaliser de dévouement en présence du danger ; leur tenue, leur matériel, leur installation sont également l’objet d’une lutte qui ne recule devant aucune dépense. Une compagnie commerciale, ayant envoyé à Philadelphie 60,000 fr. pour l’achat d’une pompe destinée à effacer toutes les autres, fut informée que le prix ne pourrait guère dépasser la moitié de cette somme : « incrustez-y le reste en or et en argent, » répondirent les fastueux Californiens. Aussi nulle fête, nulle procession n’est-elle complète si les pompes n’y tiennent la place d’honneur, et ce ne fut pas sans étonnement que, dans un bal donné par une compagnie américaine, je vis le précieux appareil resplendir tout enguirlandé au milieu de la salle. Je l’avais vu du reste vaillamment figurer, peu de jours auparavant, dans une de ces alertes encore fréquentes aujourd’hui. Une maison de bois abandonnée, et devenue le refuge de vagabonds sans asile, avait pris feu, et l’incendie s’était communiqué au bloc dont elle faisait partie. Il était dix heures du soir ; en quelques minutes, le ciel se colora d’ardens reflets rougeâtres

  1. L’une de ces dernières compagnies est exclusivement recrutée parmi les Français de San-Francisco, et porte le nom de Lafayette Hook and Ladder Company.